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Eating and Drinking Khalil GIBRAN – Manger & Boire

eating-and-drinking-khalil-gibran-artgitato-le-dejeuner-dhuitres-jean-francois-de-troy-1735-musee-conde-chantillyEating and Drinking – Manger & Boire- Le Prophète VI
The Prophet KHALIL GIBRAN
Littérature Libanaise
Lebanese literature
le-prophete-khalil-gibran-fred-holland-day-1898Photographie de Fred Holland Day
1898





جبران خليل جبران
Gibran Khalil Gibran
1883–1931
le-prophete-khalil-gibran-the-prophete-n

 

THE PROPHET VI
Eating and Drinking
Manger & Boire 

1923




The Prophet
Eating and Drinking
Khalil Gibran
Le Prophète VI
Manger & Boire

Traduction Jacky Lavauzelle

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eating-and-drinking-khalil-gibran-artgitato-le-dejeuner-dhuitres-jean-francois-de-troy-1735-musee-conde-chantilly

Le Déjeuner d’huîtres Jean-François de Troy 1735 Musée Condé Chantilly

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Then an old man, a keeper of an inn, said, « Speak to us of Eating and Drinking. »
Puis un vieil homme, le gardien d’une auberge, dit : «Parle-nous du manger et du boire.« 

And he said:
Et il dit :

Would that you could live on the fragrance of the earth, and like an air plant be sustained by the light.
Vivez du parfum de la terre, et comme une plante être inondé par la lumière.

But since you must kill to eat, and rob the young of its mother’s milk to quench your thirst, let it then be an act of worship,
Mais puisque vous devez tuer pour manger, et voler pour les jeunes le lait de sa mère pour étancher votre soif, que cela devienne alors un acte d’adoration,

And let your board stand an altar on which the pure and the innocent of forest and plain are sacrificed for that which is purer and still more innocent in many.
Et considérez votre table comme un autel sur lequel le pur et l’innocent de la forêt et de la plaine sont sacrifiés pour ce qui est plus pur et encore plus innocent chez de nombreux hommes.

When you kill a beast say to him in your heart,
Lorsque vous tuez une bête, en votre cœur dites-lui :

« By the same power that slays you, I too am slain; and I too shall be consumed.
«Par la même puissance que te tue, moi aussi je suis tué, et je serai aussi consommé.

For the law that delivered you into my hand shall deliver me into a mightier hand.
La loi que t’a livré dans ma main me livrera dans une main plus puissante.

Your blood and my blood is naught but the sap that feeds the tree of heaven. »
 Ton sang et mon sang ne sont rien d’autres que cette sève qui nourrit l’arbre des cieux ».

And when you crush an apple with your teeth, say to it in your heart,
Et quand vous mangez une pomme avec vos dents, dites en votre cœur,

« Your seeds shall live in my body,
« Tes graines doivent vivre dans mon corps,

And the buds of your tomorrow shall blossom in my heart,
Et les bourgeons de ton lendemain fleuriront dans mon cœur,

And your fragrance shall be my breath,
Et ta fragrance sera mon souffle,

And together we shall rejoice through all the seasons. »
Et ensemble, nous nous réjouirons à travers toutes les saisons « .

And in the autumn, when you gather the grapes of your vineyard for the winepress, say in your heart,
Et à l’automne, lorsque vous réunissez les raisins de ta vigne pour le pressoir, dites dans votre cœur :

« I too am a vineyard, and my fruit shall be gathered for the winepress,
« Moi aussi, je suis une vigne, et mon fruit sera cueilli pour le pressoir,

And like new wine I shall be kept in eternal vessels. »
Et comme le vin nouveau je serai gardé dans d’éternelles amphores « .

And in winter, when you draw the wine, let there be in your heart a song for each cup;
Et en hiver, lorsque vous tirez votre vin, qu’il y ait dans votre cœur une chanson pour chaque tasse ;

And let there be in the song a remembrance for the autumn days, and for the vineyard, and for the winepress.
Et qu’il y ait dans cette chanson un souvenir pour les jours d’automne, pour la vigne et le pressoir.

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The Prophet
Eating and Drinking
Khalil Gibran
Le Prophète VI
Manger & Boire

LA GALERIE DU PALAIS CORNEILLE 1633 Comédie

la-galerie-du-palais-corneille-1633-nicolas-lancret-la-terreLa Galerie du Palais
Ou l’Amie rivale
Le Théâtre de Corneillle






     LA GALERIE DU PALAIS CORNEILLE
LITTERATURE FRANCAISE

Comédie
EN CINQ ACTES


 

LE THEÂTRE DE
PIERRE CORNEILLE
1606 – 1684

la-galerie-du-palais-corneille-1633 

LA GALERIE DU PALAIS
ou
L’AMIE RIVALE


Comédie en Cinq Actes

LA GALERIE DU PALAIS
Adresse

À Madame de Liancour
                                                                                              Madame,

Je vous demande pardon si je vous fais un mauvais présent ; non pas que j’aie si mauvaise opinion de cette pièce, que je veuille condamner les applaudissements qu’elle a reçus, mais parce que je ne croirai jamais qu’un ouvrage de cette nature soit digne de vous être présenté. Aussi vous supplierai-je très humblement de ne prendre pas tant garde à la qualité de la chose, qu’au pouvoir de celui dont elle part : c’est tout ce que vous peut offrir un homme de ma sorte ; et Dieu ne m’ayant pas fait naître assez considérable pour être à votre service, je me tiendrai trop récompensé d’ailleurs si je puis contribuer en quelque façon à vos divertissements. De six comédies qui me sont échappées, si celle-ci n’est la meilleure, c’est la plus heureuse, et toutefois la plus malheureuse en ce point, que n’ayant pas eu l’honneur d’être vue de vous, il lui manque votre approbation, sans laquelle sa gloire est encore douteuse, et n’ose s’assurer sur les acclamations publiques. Elle vous la vient demander, Madame, avec cette protection qu’autrefois Mélite a trouvée si favorable. J’espère que votre bonté ne lui refusera pas l’une et l’autre, ou que si vous désapprouvez sa conduite, du moins vous agréez mon zèle, et me permettrez de me dire toute ma vie,

Madame,

Votre très humble, très obéissant, et très obligé serviteur,

Corneille

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LA GALERIE DU PALAIS

Examen

Ce titre serait tout à fait irrégulier, puisqu’il n’est fondé que sur le spectacle du premier acte, où commence l’amour de Dorimant pour Hippolyte, s’il n’était autorisé par l’exemple des anciens, qui étaient sans doute encore bien plus licencieux, quand ils ne donnaient à leurs tragédies que le nom des chœurs, qui n’étaient que témoins de l’action, comme les Trachiniennes et les Phéniciennes. L’Ajax même de Sophocle ne porte pas pour titre la Mort d’Ajax, qui est sa principale action, mais Ajax porte-fouet, qui n’est que l’action du premier acte. Je ne parle point des Nuées, des Guêpes et des Grenouilles d’Aristophane ; ceci doit suffire pour montrer que les Grecs, nos premiers maîtres, ne s’attachaient point à la principale action pour en faire porter le nom à leurs ouvrages, et qu’ils ne gardaient aucune règle sur cet article. J’ai donc pris ce titre de la Galerie du Palais, parce que la promesse de ce spectacle extraordinaire, et agréable pour sa naïveté, devait exciter vraisemblablement la curiosité des auditeurs ; et ç’a été pour leur plaire plus d’une fois, que j’ai fait paraître ce même spectacle à la fin du quatrième acte, où il est entièrement inutile, et n’est renoué avec celui du premier que par des valets qui viennent prendre dans les boutiques ce que leurs maîtres y avaient acheté, ou voir si les marchands ont reçu les nippes qu’ils attendaient. Cette espèce de renouement lui était nécessaire, afin qu’il eût quelque liaison qui lui fît trouver sa place, et qu’il ne fût pas tout à fait hors d’œuvre. La rencontre que j’y fais faire d’Aronte et de Florice est ce qui le fixe particulièrement en ce lieu-là ; et sans cet incident, il eût été aussi propre à la fin du second et du troisième, qu’en la place qu’il occupe. Sans cet agrément la pièce aurait été très régulière pour l’unité du lieu et la liaison des scènes, qui n’est interrompue que par là. Célidée et Hippolyte sont deux voisines dont les demeures ne sont séparées que par le travers d’une rue, et ne sont pas d’une condition trop élevée pour souffrir que leurs amants les entretiennent à leur porte. Il est vrai que ce qu’elles y disent seroit mieux dit dans une chambre ou dans une salle, et même ce n’est que pour se faire voir aux spectateurs qu’elles quittent cette porte où elles devroient être retranchées, et viennent parler au milieu de la scène ; mais c’est un accommodement de théâtre qu’il faut souffrir pour trouver cette rigoureuse unité de lieu qu’exigent les grands réguliers. Il sort un peu de l’exacte vraisemblance et de la bienséance même ; mais il est presque impossible d’en user autrement ; et les spectateurs y sont si accoutumés, qu’ils n’y trouvent rien qui les blesse. Les anciens, sur les exemples desquels on a formé les règles, se donnoient cette liberté. Ils choisissoient pour le lieu de leurs comédies, et même de leurs tragédies, une place publique ; mais je m’assure qu’à les bien examiner, il y a plus de la moitié de ce qu’ils font dire qui seroit mieux dit dans la maison qu’en cette place. Je n’en produirai qu’un exemple, sur qui le lecteur en pourra trouver d’autres.

L’Andrienne de Térence commence par le vieillard Simon, qui revient du marché avec des valets chargés de ce qu’il vient d’acheter pour les noces de son fils ; il leur commande d’entrer dans sa maison avec leur charge, et retient avec lui Sosie, pour lui apprendre que ces noces ne sont que des noces feintes, à dessein de voir ce qu’en dira son fils, qu’il croit engagé dans une autre affection, dont il lui conte l’histoire. Je ne pense pas qu’aucun me dénie qu’il seroit mieux dans sa salle à lui faire confidence de ce secret que dans une rue. Dans la seconde scène, il menace Davus de le maltraiter, s’il fait aucune fourbe pour troubler ses noces : il le menacerait plus à propos dans sa maison qu’en public ; et la seule raison qui le fait parler devant son logis, c’est afin que ce Davus, demeuré seul, puisse voir Mysis sortir de chez Glycère, et qu’il se fasse une liaison d’oeil entre ces deux scènes ; ce qui ne regarde pas l’action présente de cette première, qui se passerait mieux dans la maison, mais une action future qu’ils ne prévoient point, et qui est plutôt du dessein du poète, qui force un peu la vraisemblance pour observer les règles de son art, que du choix des acteurs qui ont à parler, qui ne seraient pas où les met le poète, s’il n’était question que de dire ce qu’il leur fait dire. Je laisse aux curieux à examiner le reste de cette comédie de Térence ; et je veux croire qu’à moins que d’avoir l’esprit fort préoccupé d’un sentiment contraire, ils demeureront d’accord de ce que je dis.

Quant à la durée de cette pièce, elle est dans le même ordre que la précédente, c’est-à-dire dans cinq jours consécutifs. Le style en est plus fort et plus dégagé des pointes dont j’ai parlé, qui s’y trouveront assez rares. Le personnage de nourrice, qui est de la vieille comédie, et que le manque d’actrices sur nos théâtres y avait conservé jusqu’alors, afin qu’un homme le pût représenter sous le masque, se trouve ici métamorphosé en celui de suivante, qu’une femme représente sur son visage. Le caractère des deux amantes a quelque chose de choquant, en ce qu’elles sont toutes deux amoureuses d’hommes qui ne le sont point d’elles, et Célidée particulièrement s’emporte jusqu’à s’offrir elle-même. On la pourrait excuser sur le violent dépit qu’elle a de s’être vue méprisée par son amant, qui, en sa présence même a conté des fleurettes à une autre ; et j’aurais de plus à dire que nous ne mettons pas sur la scène des personnages si parfaits, qu’ils ne soient sujets à des défauts et aux faiblesses qu’impriment les passions ; mais je veux bien avouer que cela va trop avant, et passe trop la bienséance et la modestie du sexe, bien qu’absolument il ne soit pas condamnable. En récompense, le cinquième acte est moins traînant que celui des précédentes, et conclut deux mariages sans laisser aucun mécontent ; ce qui n’arrive pas dans celles-là.

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Nicolas Lancret, La Terre

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LA GALERIE DU PALAIS




PERSONNAGES

Pleirante, père de Célidée
Lysandre, amant de Célidée
Dorimant, amoureux d’Hippolyte
Chrysante, mère d’Hippolyte
Célidée, fille de Pleirante
Hippolyte, fille de Chrysante
Aronte, écuyer de Lysandre
Cléante, écuyer de Dorimant
Florice, suivante d’Hippolyte
Le Libraire du Palais
Le Mercier du Palais
La Lingère du Palais

La scène est à Paris

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LA GALERIE DU PALAIS




ACTE premier

Scène première

Aronte, Florice.

Aronte.

Enfin je ne le puis : que veux-tu que j’y fasse ?
Pour tout autre sujet mon maître n’est que glace ;
Elle est trop dans son cœur ; on ne l’en peut chasser,
Et c’est folie à nous que de plus y penser.
J’ai beau devant les yeux lui remettre Hippolyte,
Parler de ses attraits, élever son mérite,
Sa grâce, son esprit, sa naissance, son bien ;
Je n’avance non plus qu’à ne lui dire rien :
L’amour, dont malgré moi son âme est possédée,
Fait qu’il en voit autant, ou plus, en Célidée.

Florice.

Ne quittons pas pourtant ; à la longue on fait tout.
La gloire suit la peine : espérons jusqu’au bout.
Je veux que Célidée ait charmé son courage,
L’amour le plus parfait n’est pas un mariage ;
Fort souvent moins que rien cause un grand changement,
Et les occasions naissent en un moment.

Aronte.

Je les prendrai toujours quand je les verrai naître.

Florice.

Hippolyte, en ce cas, saura le reconnaître.

Aronte.

Tout ce que j’en prétends, c’est un entier secret.
Adieu : je vais trouver Célidée à regret.

Florice.

De la part de ton maître ?

Aronte.

De la part de ton maître ? Oui.

Florice.

De la part de ton maître ? Oui. Si j’ai bonne vue,
La voilà que son père amène vers la rue.
Tirons-nous à quartier ; nous jouerons mieux nos jeux,
S’ils n’aperçoivent point que nous parlions nous deux.

ACTE I
Scène II

Pleirante, Célidée.

Pleirante.

Ne pense plus, ma fille, à me cacher ta flamme ;
N’en conçois point de honte, et n’en crains point de blâme :
Le sujet qui l’allume a des perfections
Dignes de posséder tes inclinations ;
Et pour mieux te montrer le fond de mon courage,
J’aime autant son esprit que tu fais son visage.
Confesse donc, ma fille, et crois qu’un si beau feu
Veut être mieux traité que par un désaveu.

Célidée.

Monsieur, il est tout vrai, son ardeur légitime
A tant gagné sur moi que j’en fais de l’estime ;
J’honore son mérite, et n’ai pu m’empêcher
De prendre du plaisir à m’en voir rechercher ;
J’aime son entretien, je chéris sa présence :
Mais cela n’est enfin qu’un peu de complaisance,
Qu’un mouvement léger qui passe en moins d’un jour.
Vos seuls commandements produiront mon amour ;
Et votre volonté, de la mienne suivie…

Pleirante.

Favorisant ses vœux, seconde ton envie.
Aime, aime ton Lysandre ; et puisque je consens
Et que je t’autorise à ces feux innocents,
Donne-lui hardiment une entière assurance
Qu’un mariage heureux suivra son espérance ;
Engage-lui ta foi. Mais j’aperçois venir
Quelqu’un qui de sa part te vient entretenir.
Ma fille, adieu : les yeux d’un homme de mon âge
Peut-être empêcheraient la moitié du message.

Célidée.

Il ne vient rien de lui qu’il faille vous celer.

Pleirante.

Mais tu seras sans moi plus libre à lui parler ;
Et ta civilité, sans doute un peu forcée,
Me fait un compliment qui trahit ta pensée.

ACTE I
Scène III

Célidée, Aronte.

Célidée.

Que fait ton maître, Aronte ?

Aronte.

Que fait ton maître, Aronte ? Il m’envoie aujourd’hui
Voir ce que sa maîtresse a résolu de lui,
Et comment vous voulez qu’il passe la journée.

Célidée.

Je serai chez Daphnis toute l’après-dînée ;
Et s’il m’aime, je crois que nous l’y pourrons voir.
Autrement…

Aronte.

Autrement… Ne pensez qu’à l’y bien recevoir.

Célidée.

S’il y manque, il verra sa paresse punie.
Nous y devons dîner fort bonne compagnie ;
J’y mène, du quartier, Hippolyte et Chloris.

Aronte.

Après elles et vous il n’est rien dans Paris ;
Et je n’en sache point, pour belles qu’on les nomme,
Qui puissent attirer les yeux d’un honnête homme.

Célidée.

Je ne suis pas d’humeur bien propre à t’écouter,
Et ne prends pas plaisir à m’entendre flatter.
Sans que ton bel esprit tâche plus d’y paraître,
Mêle-toi de porter ma réponse à ton maître.

Aronte,
seul.

Quelle superbe humeur ! quel arrogant maintien !
Si mon maître me croit, vous ne tenez plus rien ;
Il changera d’objet, ou j’y perdrai ma peine :
Aussi bien son amour ne vous rend que trop vaine.

ACTE I
Scène IV

La Lingère, le Libraire.

(On tire un rideau, et l’on voit le libraire, la lingère et le mercier, chacun dans sa boutique.)
La Lingère.

Vous avez fort la presse à ce livre nouveau ;
C’est pour vous faire riche.

Le Libraire.

C’est pour vous faire riche. On le trouve si beau,
Que c’est pour mon profit le meilleur qui se voie.
Mais vous, que vous vendez de ces toiles de soie !

La Lingère.

De vrai, bien que d’abord on en vendît fort peu,
À présent Dieu nous aime, on y court comme au feu ;
Je n’en saurais fournir autant qu’on m’en demande :
Elle sied mieux aussi que celle de Hollande,
Découvre moins le fard dont un visage est peint,
Et donne, ce me semble, un plus grand lustre au teint.
Je perds bien à gagner, de ce que ma boutique,
Pour être trop étroite, empêche ma pratique ;
À peine y puis-je avoir deux chalands à la fois :
Je veux changer de place avant qu’il soit un mois ;
J’aime mieux en payer le double et davantage,
Et voir ma marchandise en un bel étalage.

Le Libraire.

Vous avez bien raison ; mais, à ce que j’entends…
Monsieur, vous plaît-il voir quelques livres du temps ?

ACTE I
Scène V

Dorimant, Cléante, le Libraire.

Dorimant.

Montrez-m’en quelques-uns.

Le Libraire.

Montrez-m’en quelques-uns. Voici ceux de la mode.

Dorimant.

Otez-moi cet auteur, son nom seul m’incommode :
C’est un impertinent, ou je n’y connais rien.

Le Libraire.

Ses œuvres toutefois se vendent assez bien.

Dorimant.

Quantité d’ignorants ne songent qu’à la rime.

Le Libraire.

Monsieur, en voici deux dont on fait grande estime ;
Considérez ce trait, on le trouve divin.

Dorimant.

Il n’est que mal traduit du cavalier Marin ;
Sa veine, au demeurant, me semble assez hardie.

Le Libraire.

Ce fut son coup d’essai que cette comédie.

Dorimant.

Cela n’est pas tant mal pour un commencement ;
La plupart de ses vers coulent fort doucement :
Qu’il a de mignardise à décrire un visage !

ACTE I
Scène VI

Hippolyte, Florice, Dorimant, Cléante, le Libraire, la Lingère.

Hippolyte.

Madame, montrez-nous quelques collets d’ouvrage.

La Lingère.

Je vous en vais montrer de toutes les façons.

Dorimant,
au libraire.

Ce visage vaut mieux que toutes vos chansons.

La Lingère,
à Hippolyte.

Voilà du point d’esprit, de Gênes, et d’Espagne.

Hippolyte.

Ceci n’est guère bon qu’à des gens de campagne.

La Lingère.

Voyez bien ; s’il en est deux pareils dans Paris…

Hippolyte.

Ne les vantez point tant, et dites-nous le prix.

La Lingère.

Quand vous aurez choisi.

Hippolyte.

Quand vous aurez choisi. Que t’en semble, Florice ?

Florice.

Ceux-là sont assez beaux, mais de mauvais service ;
En moins de trois savons on ne les connaît plus.

Hippolyte.

Celui-ci, qu’en dis-tu ?

Florice.

Celui-ci, qu’en dis-tu ? L’ouvrage en est confus,
Bien que l’invention de près soit assez belle.
Voici bien votre fait, n’était que la dentelle
Est fort mal assortie avec le passement ;
Cet autre n’a de beau que le couronnement.

La Lingère.

Si vous pouviez avoir deux jours de patience,
Il m’en vient, mais qui sont dans la même excellence.
(Dorimant parle au libraire à l’oreille.)

Florice.

Il vaudrait mieux attendre.



Hippolyte.
Il vaudrait mieux attendre.Eh bien, nous attendrons ;
Dites-nous au plus tard quel jour nous reviendrons.

La Lingère.

Mercredi j’en attends de certaines nouvelles.
Cependant vous faut-il quelques autres dentelles ?

Hippolyte.

J’en ai ce qu’il m’en faut pour ma provision.

Le Libraire,
à Dorimant.

J’en vais subtilement prendre l’occasion.
(À la lingère.)
La connais-tu, voisine ?

La Lingère.

La connais-tu, voisine ? Oui, quelque peu de vue :
Quant au reste, elle m’est tout à fait inconnue.
(Dorimant tire Cléante au milieu du théâtre, et lui parle à l’oreille.)
Ce cavalier sans doute y trouve plus d’appas
Que dans tous vos auteurs ?

Cléante.

Que dans tous vos auteurs ? Je n’y manquerai pas.

Dorimant.

Si tu ne me vois là, je serai dans la salle.
(Il prend un livre sur la boutique du libraire.)
Je connais celui-ci ; sa veine est fort égale ;
Il ne fait point de vers qu’on ne trouve charmants.
Mais on ne parle plus qu’on fasse de romans ;
J’ai vu que notre peuple en était idolâtre.

Le Libraire.

La mode est à présent des pièces de théâtre.

Dorimant.

De vrai, chacun s’en pique ; et tel y met la main,
Qui n’eut jamais l’esprit d’ajuster un quatrain.

ACTE I
Scène VII

Lysandre, Dorimant, le Libraire, le Mercier.

Lysandre.

Je te prends sur le livre.

Dorimant.

Je te prends sur le livre. Eh bien, qu’en veux-tu dire ?
Tant d’excellents esprits, qui se mêlent d’écrire,
Valent bien qu’on leur donne une heure de loisir.

Lysandre.

Y trouves-tu toujours une heure de plaisir ?
Beaucoup font bien des vers, et peu la comédie.

Dorimant.

Ton goût, je m’en assure, est pour la Normandie.

Lysandre.

Sans rien spécifier, peu méritent de voir ;
Souvent leur entreprise excède leur pouvoir :
Et tel parle d’amour sans aucune pratique.

Dorimant.

On n’y sait guère alors que la vieille rubrique :
Faute de le connaître, on l’habille en fureur
Et loin d’en faire envie, on nous en fait horreur.
Lui seul de ses effets a droit de nous instruire ;
Notre plume à lui seul doit se laisser conduire :
Pour en bien discourir, il faut l’avoir bien fait ;
Un bon poète ne vient que d’un amant parfait.

Lysandre.

Il n’en faut point douter, l’amour a des tendresses
Que nous n’apprenons point qu’auprès de nos maîtresses.
Tant de sorte d’appas, de doux saisissements,
D’agréables langueurs et de ravissements,
Jusques où d’un bel oeil peut s’étendre l’empire,
Et mille autres secrets que l’on ne saurait dire
(Quoi que tous nos rimeurs en mettent par écrit),
Ne se surent jamais par un effort d’esprit ;
Et je n’ai jamais vu de cervelles bien faites
Qui traitassent l’amour à la façon des poètes :
C’est tout un autre jeu. Le style d’un sonnet
Est fort extravagant dedans un cabinet ;
Il y faut bien louer la beauté qu’on adore,
Sans mépriser Vénus, sans médire de Flore,
Sans que l’éclat des lis, des roses, d’un beau jour,
Ait rien à démêler avecque notre amour.
O pauvre comédie, objet de tant de veines,
Si tu n’es qu’un portrait des actions humaines,
On te tire souvent sur un original
À qui, pour dire vrai, tu ressembles fort mal !

Dorimant.

Laissons la muse en paix, de grâce à la pareille.
Chacun fait ce qu’il peut, et ce n’est pas merveille
Si, comme avec bon droit on perd bien un procès,
Souvent un bon ouvrage a de faibles succès.
Le jugement de l’homme, ou plutôt son caprice,
Pour quantité d’esprits n’a que de l’injustice :
J’en admire beaucoup dont on fait peu d’état ;
Leurs fautes, tout au pis, ne sont pas coups d’Etat,
La plus grande est toujours de peu de conséquence.

Le Libraire.

Vous plairait-il de voir des pièces d’éloquence ?

Lysandre,
ayant regardé le titre d’un livre que le libraire lui présente.

J’en lus hier la moitié ; mais son vol est si haut,
Que presque à tous moments je me trouve en défaut.

Dorimant.

Voici quelques auteurs dont j’aime l’industrie.
Mettez ces trois à part, mon maître, je vous prie ;
Tantôt un de mes gens vous les viendra payer.
Lysandre, se retirant d’auprès les boutiques.
Le reste du matin où veux-tu l’employer ?

Le Mercier.

Voyez deçà, messieurs ; vous plaît-il rien du nôtre ?
Voyez, je vous ferai meilleur marché qu’un autre,
Des gants, des baudriers, des rubans, des castors.

ACTE I
Scène VIII

Dorimant, Lysandre.

Dorimant.

Je ne saurais encor te suivre si tu sors :
Faisons un tour de salle, attendant mon Cléante.

Lysandre.

Qui te retient ici ?

Dorimant.

Qui te retient ici ? L’histoire en est plaisante :
Tantôt, comme j’étais sur le livre occupé,
Tout proche on est venu choisir du point coupé.

Lysandre.

Qui ?

Dorimant.

Qui ? C’est la question ; mais s’il faut s’en remettre
À ce qu’à mes regards sa coiffe a pu permettre,
Je n’ai rien vu d’égal : mon Cléante la suit,
Et ne reviendra point qu’il n’en soit bien instruit,
Qu’il n’en sache le nom, le rang et la demeure.

Lysandre.

Ami, le cœur t’en dit.

Dorimant.

Nullement, ou je meure ;
Voyant je ne sais quoi de rare en sa beauté,
J’ai voulu contenter ma curiosité.

Lysandre.

Ta curiosité deviendra bientôt flamme ;
C’est par là que l’amour se glisse dans une âme.
À la première vue, un objet qui nous plaît
N’inspire qu’un désir de savoir quel il est ;
On en veut aussitôt apprendre davantage,
Voir si son entretien répond à son visage,
S’il est civil ou rude, importun ou charmeur,
Eprouver son esprit, connaître son humeur :
De là cet examen se tourne en complaisance ;
On cherche si souvent le bien de sa présence,
Qu’on en fait habitude, et qu’au point d’en sortir
Quelque regret commence à se faire sentir :
On revient tout rêveur ; et notre âme blessée,
Sans prendre garde à rien, cajole sa pensée.
Ayant rêvé le jour, la nuit à tous propos
On sent je ne sais quoi qui trouble le repos ;
Un sommeil inquiet, sur de confus nuages,
Elève incessamment de flatteuses images,
Et sur leur vain rapport fait naître des souhaits
Que le réveil admire et ne dédit jamais ;
Tout le cœur court en hâte après de si doux guides ;
Et le moindre larcin que font ses vœux timides
Arrête le larron, et le met dans les fers.

Dorimant.

Ainsi tu fus épris de celle que tu sers ?

Lysandre.

C’est un autre discours ; à présent je ne touche
Qu’aux ruses de l’amour contre un esprit farouche,
Qu’il faut apprivoiser presque insensiblement,
Et contre ses froideurs combattre finement.
Des naturels plus doux…

ACTE I
Scène IX

Dorimant, Lysandre, Cléante.

Dorimant.

Des naturels plus doux… Eh bien, elle s’appelle ?

Cléante.

Ne m’informez de rien qui touche cette belle.
Trois filous rencontrés vers le milieu du pont,
Chacun l’épée au poing, m’ont voulu faire affront,
Et sans quelques amis qui m’ont tiré de peine,
Contr’eux ma résistance eût peut-être été vaine ;
Ils ont tourné le dos, me voyant secouru,
Mais ce que je suivais tandis est disparu.

Dorimant.

Les traîtres ! trois contre un ! t’attaquer ! te surprendre !
Quels insolents vers moi s’osent ainsi méprendre ?

Cléante.

Je ne connais qu’un d’eux, et c’est là le retour
De quelques tours de main qu’il reçut l’autre jour,
Lorsque, m’ayant tenu quelques propos d’ivrogne,
Nous eûmes prise ensemble à l’hôtel de Bourgogne.

Dorimant.

Qu’on le trouve où qu’il soit ; qu’une grêle de bois
Assemble sur lui seul le châtiment des trois ;
Et que sous l’étrivière il puisse tôt connaître,
Quand on se prend aux miens, qu’on s’attaque à leur maître !

Lysandre.

J’aime à te voir ainsi décharger ton courroux :
Mais voudrais-tu parler franchement entre nous ?

Dorimant.

Quoi ! tu doutes encor de ma juste colère ?

Lysandre.

En ce qui le regarde, elle n’est que légère :
En vain pour son sujet tu fais l’intéressé ;
Il a paré des coups dont ton cœur est blessé :
Cet accident fâcheux te vole une maîtresse ;
Confesse ingénument, c’est là ce qui te presse.

Dorimant.

Pourquoi te confesser ce que tu vois assez ?
Au point de se former, mes desseins renversés,
Et mon désir trompé, poussent dans ces contraintes,
Sous de faux mouvements, de véritables plaintes.

Lysandre.

Ce désir, à vrai dire, est un amour naissant
Qui ne sait où se prendre, et demeure impuissant ;
Il s’égare et se perd dans cette incertitude ;
Et renaissant toujours de ton inquiétude,
Il te montre un objet d’autant plus souhaité,
Que plus sa connaissance a de difficulté.
C’est par là que ton feu davantage s’allume :
Moins on l’a pu connaître, et plus on en présume ;
Notre ardeur curieuse en augmente le prix.

Dorimant.

Que tu sais cher ami, lire dans les esprits !
Et que, pour bien juger d’une secrète flamme,
Tu pénètres avant dans les ressorts d’une âme !

Lysandre.

Ce n’est pas encor tout, je veux te secourir.

Dorimant.

Oh, que je ne suis pas en état de guérir !
L’amour use sur moi de trop de tyrannie.

Lysandre.

Souffre que je te mène en une compagnie
Où l’objet de mes vœux m’a donné rendez-vous ;
Les divertissements t’y sembleront si doux,
Ton âme en un moment en sera si charmée
Que, tous ses déplaisirs dissipés en fumée,
On gagnera sur toi fort aisément ce point
D’oublier un objet que tu ne connais point.
Mais garde-toi surtout d’une jeune voisine
Que ma maîtresse y mène ; elle est et belle et fine,
Et sait si dextrement ménager ses attraits,
Qu’il n’est pas bien aisé d’en éviter les traits.

Dorimant.

Au hasard, fais de moi tout ce que bon te semble.

Lysandre.

Donc, en attendant l’heure, allons dîner ensemble.

ACTE I
Scène X

Hippolyte, Florice.

Hippolyte.

Tu me railles toujours.

Florice.

Tu me railles toujours. S’il ne vous veut du bien,
Dites assurément que je n’y connais rien.
Je le considérais tantôt chez ce libraire ;
Ses regards de sur vous ne pouvaient se distraire,
Et son maintien était dans une émotion
Qui m’instruisait assez de son affection.
Il voulait vous parler, et n’osait l’entreprendre.

Hippolyte.

Toi, ne me parle point, ou parle de Lysandre :
C’est le seul dont la vue excite mon ardeur.

Florice.

Et le seul qui pour vous n’a que de la froideur.
Célidée est son âme, et tout autre visage
N’a point d’assez beaux traits pour toucher son courage ;
Son brasier est trop grand, rien ne peut l’amortir :
En vain son écuyer tâche à l’en divertir,
En vain, jusques aux cieux portant votre louange,
Il tâche à lui jeter quelque amorce du change,
Et lui dit jusque-là que dans votre entretien
Vous témoignez souvent de lui vouloir du bien ;
Tout cela n’est qu’autant de paroles perdues.

Hippolyte.

Faute d’être sans doute assez bien entendues.

Florice.

Ne le présumez pas, il faut avoir recours
À de plus hauts secrets qu’à ces faibles discours.
Je fus fine autrefois, et depuis mon veuvage
Ma ruse chaque jour s’est accrue avec l’âge :
Je me connais en monde, et sais mille ressorts
Pour débaucher une âme et brouiller des accords.

Hippolyte.

Dis promptement, de grâce.

Florice.

Dis promptement, de grâce. À présent l’heure presse,
Et je ne vous saurais donner qu’un mot d’adresse.
Cette voisine et vous… Mais déjà la voici.

ACTE I
Scène XI

Célidée, Hippolyte, Florice.

Célidée.

À force de tarder, tu m’as mise en souci :
Il est temps, et Daphnis par un page me mande
Que pour faire servir on n’attend que ma bande ;
Le carrosse est tout prêt : allons, veux-tu venir ?

Hippolyte.

Lysandre après dîner t’y vient entretenir ?

Célidée.

S’il osait y manquer, je te donne promesse
Qu’il pourrait bien ailleurs chercher une maîtresse.

Fin du premier acte
**
La Galerie du Palais

ACTE II

Scène première

Hippolyte, Dorimant.

Hippolyte.

Ne me contez point tant que mon visage est beau :
Ces discours n’ont pour moi rien du tout de nouveau ;
Je le sais bien sans vous, et j’ai cet avantage,
Quelques perfections qui soient sur mon visage,
Que je suis la première à m’en apercevoir :
Pour me les bien apprendre, il ne faut qu’un miroir ;
J’y vois en un moment tout ce que vous me dites.

Dorimant.

Mais vous n’y voyez pas tous vos rares mérites :
Cet esprit tout divin et ce doux entretien
Ont des charmes puissants dont il ne montre rien.

Hippolyte.

Vous les montrez assez par cette après-dînée
Qu’à causer avec moi vous vous êtes donnée ;
Si mon discours n’avait quelque charme caché,
Il ne vous tiendrait pas si longtemps attaché.
Je vous juge plus sage, et plus aimer votre aise,
Que d’y tarder ainsi sans que rien vous y plaise ;
Et si je présumais qu’il vous plût sans raison,

Je me ferais moi-même un peu de trahison ;
Et par ce trait badin qui sentirait l’enfance,
Votre beau jugement recevrait trop d’offense.
Je suis un peu timide, et dût-on me jouer,
Je n’ose démentir ceux qui m’osent louer.

Dorimant.

Aussi vous n’avez pas le moindre lieu de craindre
Qu’on puisse, en vous louant ni vous flatter ni feindre ;
On voit un tel éclat en vos brillants appas,
Qu’on ne peut l’exprimer, ni ne l’adorer pas.

Hippolyte.

Ni ne l’adorer pas ! Par là vous voulez dire…

Dorimant.

Que mon cœur désormais vit dessous votre empire,
Et que tous mes desseins de vivre en liberté
N’ont rien eu d’assez fort contre votre beauté.

Hippolyte.

Quoi ? mes perfections vous donnent dans la vue ?

Dorimant.

Les rares qualités dont vous êtes pourvue
Vous ôtent tout sujet de vous en étonner.

Hippolyte.

Cessez aussi, monsieur, de vous l’imaginer.
Si vous brûlez pour moi, ce ne sont pas merveilles ;
J’ai de pareils discours chaque jour aux oreilles,
Et tous les gens d’esprit en font autant que vous.

Dorimant.

En amour toutefois je les surpasse tous.
Je n’ai point consulté pour vous donner mon âme ;

Votre premier aspect sut allumer ma flamme,
Et je sentis mon cœur, par un secret pouvoir,
Aussi prompt à brûler que mes yeux à vous voir.

Hippolyte.

Avoir connu d’abord combien je suis aimable,
Encor qu’à votre avis il soit inexprimable,
Ce grand et prompt effet m’assure puissamment
De la vivacité de votre jugement.
Pour moi, que la nature a faite un peu grossière,
Mon esprit, qui n’a pas cette vive lumière,
Conduit trop pesamment toutes ses fonctions
Pour m’avertir sitôt de vos perfections.
Je vois bien que vos feux méritent récompense :
Mais de les seconder ce défaut me dispense.

Dorimant.

Railleuse !

Hippolyte.

Railleuse ! Excusez-moi, je parle tout de bon.

Dorimant.

Le temps de cet orgueil me fera la raison ;
Et nous verrons un jour, à force de services,
Adoucir vos rigueurs et finir mes supplices.

ACTE II
Scène II

Dorimant, Lysandre, Hippolyte, Florice.

(Lysandre sort de chez Célidée, et passe sans s’arrêter, leur donnant seulement un coup de chapeau.)
Hippolyte.

Peut-être l’avenir… Tout beau, coureur, tout beau !
On n’est pas quitte ainsi pour un coup de chapeau :
Vous aimez l’entretien de votre fantaisie ;
Mais pour un cavalier c’est peu de courtoisie,
Et cela messied fort à des hommes de cour,
De n’accompagner pas leur salut d’un bonjour.

Lysandre.

Puisque auprès d’un sujet capable de nous plaire
La présence d’un tiers n’est jamais nécessaire,
De peur qu’il en reçût quelque importunité,
J’ai mieux aimé manquer à la civilité.

Hippolyte.

Voilà parer mon coup d’un galant artifice,
Comme si je pouvais… Que me veux-tu, Florice ?
(Florice sort et parle à Hippolyte à l’oreille.)
Dis-lui que je m’en vais. Messieurs, pardonnez-moi,
On me vient d’apporter une fâcheuse loi ;
Incivile à mon tour, il faut que je vous quitte.
Une mère m’appelle.

Dorimant.

Une mère m’appelle. Adieu, belle Hippolyte,
Adieu : souvenez-vous…

Hippolyte.

Adieu : souvenez-vous… Mais vous, n’y songez plus.

ACTE II
Scène III

Lysandre.

Quoi ! Dorimant, ce mot t’a rendu tout confus !

Dorimant.

Ce mot à mes désirs laisse peu d’espérance.

Lysandre.

Tu ne la vois encor qu’avec indifférence ?

Dorimant.

Comme toi Célidée.

Lysandre.

Comme toi Célidée. Elle eut donc chez Daphnis,
Hier dans son entretien des charmes infinis ?
Je te l’avais bien dit que ton âme à sa vue
Demeurerait, ou prise, ou puissamment émue ;
Mais tu n’as pas sitôt oublié la beauté
Qui fit naître au Palais ta curiosité ?
Du moins ces deux objets balancent ton courage ?

Dorimant.

Sais-tu bien que c’est là justement mon visage,
Celui que j’avais vu le matin au Palais ?

Lysandre.

À ce compte…

Dorimant.

À ce compte… J’en tiens, ou l’on n’en tint jamais.

Lysandre.

C’est consentir bientôt à perdre ta franchise.

Dorimant.

C’est rendre un prompt hommage aux yeux qui me l’ont prise.

Lysandre.

Puisque tu les connais, je ne plains plus ton mal.

Dorimant.

Leur coup, pour les connaître, en est-il moins fatal ?

Lysandre.

Non, mais du moins ton cœur n’est plus à la torture
De voir tes vœux forcés d’aller à l’aventure ;
Et cette belle humeur de l’objet qui t’a pris…

Dorimant.

Sous un accueil riant cache un subtil mépris.
Ah, que tu ne sais pas de quel air on me traite !

Lysandre.

Je t’en avais jugé l’âme fort satisfaite :
Et cette gaie humeur, qui brillait dans ses yeux,
M’en promettait pour toi quelque chose de mieux.

Dorimant.

Cette belle, de vrai, quoique toute de glace,
Mêle dans ses froideurs je ne sais quelle grâce,
Par où tout de nouveau je me laisse gagner,
Et consens, peu s’en faut, à m’en voir dédaigner.
Loin de s’en affaiblir, mon amour s’en augmente ;
Je demeure charmé de ce qui me tourmente.
Je pourrais de toute autre être le possesseur,
Que sa possession aurait moins de douceur.
Je ne suis plus à moi quand je vois Hippolyte
Rejeter ma louange et vanter son mérite,
Négliger mon amour ensemble et l’approuver,
Me remplir tout d’un temps d’espoir et m’en priver,
Me refuser son cœur en acceptant mon âme,
Faire état de mon choix en méprisant ma flamme.
Hélas ! en voilà trop : le moindre de ces traits
A pour me retenir de trop puissants attraits ;
Trop heureux d’avoir vu sa froideur enjouée
Ne se point offenser d’une ardeur avouée !

Lysandre.

Son adieu toutefois te défend d’y songer,
Et ce commandement t’en devrait dégager.

Dorimant.

Qu’un plus capricieux d’un tel adieu s’offense ;
Il me donne un conseil plutôt qu’une défense,
Et par ce mot d’avis, son cœur sans amitié
Du temps que j’y perdrai montre quelque pitié.

Lysandre.

Soit défense ou conseil, de rien ne désespère ;
Je te réponds déjà de l’esprit de sa mère.
Pleirante son voisin lui parlera pour toi ;
Il peut beaucoup sur elle, et fera tout pour moi.
Tu sais qu’il m’a donné sa fille pour maîtresse.
Tâche à vaincre Hippolyte avec un peu d’adresse,
Et n’appréhende pas qu’il en faille beaucoup :
Tu verras sa froideur se perdre tout d’un coup.
Elle ne se contraint à cette indifférence
Que pour rendre une entière et pleine déférence,
Et cherche, en déguisant son propre sentiment,
La gloire de n’aimer que par commandement.

Dorimant.

Tu me flattes, ami, d’une attente frivole.

Lysandre.

L’effet suivra de près.

Dorimant.

L’effet suivra de près. Mon cœur, sur ta parole,
Ne se résout qu’à peine à vivre plus content.

Lysandre.

Il se peut assurer du bonheur qu’il prétend ;
J’y donnerai bon ordre. Adieu : le temps me presse,
Et je viens de sortir d’auprès de ma maîtresse ;
Quelques commissions dont elle m’a chargé
M’obligent maintenant à prendre ce congé.

ACTE II
Scène IV

Dorimant, Florice.

Dorimant,
seul.

Dieux ! qu’il est malaisé qu’une âme bien atteinte
Conçoive de l’espoir qu’avec un peu de crainte !
Je dois toute croyance à la foi d’un ami,
Et n’ose cependant m’y fier qu’à demi.
Hippolyte, d’un mot, chasserait ce caprice.
Est-elle encore en haut ?

Florice.

Est-elle encore en haut ? Encore.

Dorimant.

Est-elle encore en haut ? Encore. Adieu, Florice.
Nous la verrons demain.

ACTE II
Scène V

Hippolyte, Florice.

Florice.

Nous la verrons demain. Il vient de s’en aller.
Sortez.

Hippolyte.

Sortez. Mais fallait-il ainsi me rappeler,
Me supposer ainsi des ordres d’une mère ?
Sans mentir, contre toi j’en suis toute en colère :
À peine ai-je attiré Lysandre en nos discours,
Que tu viens par plaisir en arrêter le cours.

Florice.

Eh bien ! prenez-vous-en à mon impatience
De vous communiquer un trait de ma science :
Cet avis important tombé dans mon esprit
Méritait qu’aussitôt Hippolyte l’apprît ;
Je vais sans perdre temps y disposer Aronte.

Hippolyte.

J’ai la mine après tout d’y trouver mal mon conte.

Florice.

Je sais ce que je fais, et ne perds point mes pas ;
Mais de votre côté ne vous épargnez pas ;
Mettez tout votre esprit à bien mener la ruse.

Hippolyte.

Il ne faut point par là te préparer d’excuse.
Va, suivant le succès, je veux à l’avenir
Du mal que tu m’as fait perdre le souvenir.

ACTE II
Scène VI

Hippolyte, Célidée.

Hippolyte, frappant à la porte de Célidée.

Célidée, es-tu là ?

Célidée.

Célidée, es-tu là ? Que me veut Hippolyte ?

Hippolyte.

Délasser mon esprit une heure en ta visite.
Que j’ai depuis un jour un importun amant !
Et que, pour mon malheur, je plais à Dorimant !

Célidée.

Ma sœur, que me dis-tu ? Dorimant t’importune !
Quoi ! j’enviais déjà ton heureuse fortune,
Et déjà dans l’esprit je sentais quelque ennui
D’avoir connu Lysandre auparavant que lui.

Hippolyte.

Ah ! ne me raille point. Lysandre, qui t’engage,
Est le plus accompli des hommes de son âge.

Célidée.

Je te jure, à mes yeux l’autre l’est bien autant.
Mon cœur a de la peine à demeurer constant ;
Et pour te découvrir jusqu’au fond de mon âme,
Ce n’est plus que ma foi qui conserve ma flamme :
Lysandre me déplaît de me vouloir du bien.
Plût aux dieux que son change autorisât le mien,
Ou qu’il usât vers moi de tant de négligence,
Que ma légèreté se pût nommer vengeance !
Si j’avais un prétexte à me mécontenter,
Tu me verrais bientôt résoudre à le quitter.

Hippolyte.

Simple, présumes-tu qu’il devienne volage
Tant qu’il verra l’amour régner sur ton visage ?
Ta flamme trop visible entretient ses ferveurs,
Et ses feux dureront autant que tes faveurs.

Célidée.

Il semble, à t’écouter, que rien ne le retienne
Que parce que sa flamme a l’aveu de la mienne.

Hippolyte.

Que sais-je ? Il n’a jamais éprouvé tes rigueurs ;
L’amour en même temps sut embraser vos cœurs ;
Et même j’ose dire, après beaucoup de monde,
Que sa flamme vers toi ne fut que la seconde.
Il se vit accepter avant que de s’offrir ;
Il ne vit rien à craindre, il n’eut rien à souffrir ;
Il vit sa récompense acquise avant la peine,
Et devant le combat sa victoire certaine.
Un homme est bien cruel quand il ne donne pas
Un cœur qu’on lui demande avecque tant d’appas.
Qu’à ce prix la constance est une chose aisée,
Et qu’autrefois par là je me vis abusée !
Alcidor, que mes yeux avaient si fort épris,
Courut au changement dès le premier mépris.
La force de l’amour paraît dans la souffrance.
Je le tiens fort douteux, s’il a tant d’assurance.
Qu’on en voit s’affaiblir pour un peu de longueur !
Et qu’on en voit céder à la moindre rigueur !

Célidée.

Je connais mon Lysandre, et sa flamme est trop forte
Pour tomber en soupçon qu’il m’aime de la sorte.
Toutefois un dédain éprouvera ses feux.
Ainsi, quoi qu’il en soit, j’aurai ce que je veux ;
Il me rendra constante, ou me fera volage :
S’il m’aime, il me retient ; s’il change, il me dégage.
Suivant ce qu’il aura d’amour ou de froideur,
Je suivrai ma nouvelle ou ma première ardeur.

Hippolyte.

En vain tu t’y résous : ton âme un peu contrainte,
Au travers de tes yeux lui trahira ta feinte.
L’un d’eux dédira l’autre, et toujours un souris
Lui fera voir assez combien tu le chéris.

Célidée.

Ce n’est qu’un faux soupçon qui te le persuade ;
J’armerai de rigueurs jusqu’à la moindre oeillade,
Et réglerai si bien toutes mes actions,
Qu’il ne pourra juger de mes intentions.
Pour le moins aussitôt que par cette conduite
Tu seras de son cœur suffisamment instruite,
S’il demeure constant, l’amour et la pitié,
Avant que dire adieu, renoueront l’amitié.

Célidée.

Il va bientôt venir. Va-t’en, et sois certaine
De ne voir d’aujourd’hui Lysandre hors de peine.

Hippolyte.

Et demain ?

Célidée.

Et demain ? Je t’irai conter ses mouvements
Et touchant l’avenir prendre tes sentiments.
O dieux ! si je pouvais changer sans infamie !

Hippolyte.

Adieu. N’épargne en rien ta plus fidèle amie.

ACTE II
Scène VII

Célidée.

Quel étrange combat ! Je meurs de le quitter,
Et mon reste d’amour ne le peut maltraiter.
Mon âme veut et n’ose, et bien que refroidie,
N’aura trait de mépris si je ne l’étudie.
Tout ce que mon Lysandre a de perfections
Se vient offrir en foule à mes affections.
Je vois mieux ce qu’il vaut lorsque je l’abandonne,
Et déjà la grandeur de ma perte m’étonne.
Pour régler sur ce point mon esprit balancé,
J’attends ses mouvements sur mon dédain forcé ;
Ma feinte éprouvera si son amour est vraie.
Hélas ! ses yeux me font une nouvelle plaie.
Prépare-toi, mon cœur, et laisse à mes discours
Assez de liberté pour trahir mes amours.

ACTE II
Scène VIII

Lysandre, Célidée.

Célidée.

Quoi ? j’aurai donc de vous encore une visite !
Vraiment pour aujourd’hui je m’en estimais quitte.

Lysandre.

Une par jour suffit, si tu veux endurer
Qu’autant comme le jour je la fasse durer.

Célidée.

Pour douce que nous soit l’ardeur qui nous consume,
Tant d’importunité n’est point sans amertume.

Lysandre.

Au lieu de me donner ces appréhensions,
Apprends ce que j’ai fait sur tes commissions.

Célidée.

Je ne vous en chargeai qu’afin de me défaire
D’un entretien chargeant, et qui m’allait déplaire.

Lysandre.

Depuis quand donnez-vous ces qualités aux miens ?

Célidée.

Depuis que mon esprit n’est plus dans vos liens.

Lysandre.

Est-ce donc par gageure, ou par galanterie ?

Célidée.

Ne vous flattez point tant que ce soit raillerie.
Ce que j’ai dans l’esprit je ne le puis celer,
Et ne suis pas d’humeur à rien dissimuler.

Lysandre.

Quoi ! que vous ai-je fait ? d’où provient ma disgrâce ?
Quel sujet avez-vous d’être pour moi de glace ?
Ai-je manqué de soins ? ai-je manqué de feux ?
Vous ai-je dérobé le moindre de mes vœux ?
Ai-je trop peu cherché l’heur de votre présence ?
Ai-je eu pour d’autres yeux la moindre complaisance ?

Célidée.

Tout cela n’est qu’autant de propos superflus.
Je voulus vous aimer, et je ne le veux plus ;
Mon feu fut sans raison, ma glace l’est de même ;
Si l’un eut quelque excès, je rendrai l’autre extrême.

Lysandre.

Par cette extrémité vous avancez ma mort.

Célidée.

Il m’importe fort peu quel sera votre sort.

Lysandre.

Quelle nouvelle amour, ou plutôt quel caprice

Vous porte à me traiter avec cette injustice,
Vous de qui le serment m’a reçu pour époux ?

Célidée.

J’en perds le souvenir aussi bien que de vous.

Lysandre.

Évitez-en la honte et fuyez-en le blâme.

Célidée.

Je les veux accepter pour peines de ma flamme.

Lysandre.

Un reproche éternel suit ce tour inconstant.

Célidée.

Si vous me voulez plaire, il en faut faire autant.

Lysandre.

Est-ce là donc le prix de vous avoir servie ?
Ah ! cessez vos mépris, ou me privez de vie.

Célidée.

Eh bien ! soit, un adieu les va faire cesser :
Aussi bien ce discours ne fait que me lasser.

Lysandre.

Ah ! redouble plutôt ce dédain qui me tue,
Et laisse-moi le bien d’expirer à ta vue ;
Que j’adore tes yeux, tout cruels qu’ils me sont ;
Qu’ils reçoivent mes vœux pour le mal qu’ils me font.
Invente à me gêner quelque rigueur nouvelle ;
Traite, si tu le veux, mon âme en criminelle :
Dis que je suis ingrat, appelle-moi léger ;
Impute à mes amours la honte de changer ;
Dedans mon désespoir fais éclater ta joie ;
Et tout me sera doux, pourvu que je te voie.
Tu verras tes mépris n’ébranler point ma foi,
Et mes derniers soupirs ne voler qu’après toi.
Ne crains point de ma part de reproche ou d’injure,
Je ne t’appellerai ni lâche, ni parjure.
Mon feu supprimera ces titres odieux ;
Mes douleurs céderont au pouvoir de tes yeux ;
Et mon fidèle amour, malgré leur vie atteinte,
Pour t’adorer encore étouffera ma plainte.

Célidée.

Adieu. Quelques encens que tu veuilles m’offrir,
Je ne me saurais plus résoudre à les souffrir.

ACTE II
Scène IX

Lysandre.

Célidée ! Ah, tu fuis ! tu fuis donc, et tu n’oses
Faire tes yeux témoins d’un trépas que tu causes !
Ton esprit, insensible à mes feux innocents,
Craint de ne l’être pas aux douleurs que je sens :
Tu crains que la pitié qui se glisse en ton âme
N’y rejette un rayon de ta première flamme,
Et qu’elle ne t’arrache un soudain repentir,
Malgré tout cet orgueil qui n’y peut consentir.
Tu vois qu’un désespoir dessus mon front exprime
En mille traits de feu mon ardeur et ton crime ;
Mon visage t’accuse, et tu vois dans mes yeux
Un portrait que mon cœur conserve beaucoup mieux.
Tous mes soins, tu le sais, furent pour Célidée :
La nuit ne m’a jamais retracé d’autre idée,
Et tout ce que Paris a d’objets ravissants
N’a jamais ébranlé le moindre de mes sens.
Ton exemple à changer en vain me sollicite ;
Dans ta volage humeur j’adore ton mérite ;
Et mon amour, plus fort que mes ressentiments,
Conserve sa vigueur au milieu des tourments,
Reviens, mon cher souci, puisqu’après tes défenses
Mes plus vives ardeurs sont pour toi des offenses.
Vois comme je persiste à te désobéir,
Et par là, si tu peux, prends droit de me haïr.
Fol, je présume ainsi rappeler l’inhumaine,
Qui ne veut pas avoir de raisons à sa haine ?
Puisqu’elle a sur mon cœur un pouvoir absolu,
Il lui suffit de dire : « Ainsi je l’ai voulu. »
Cruelle, tu le veux ! C’est donc ainsi qu’on traite
Les sincères ardeurs d’une amour si parfaite ?
Tu me veux donc trahir ? Tu le veux, et ta foi
N’est qu’un gage frivole à qui vit sous ta loi ?
Mais je veux l’endurer sans bruit, sans résistance ;
Tu verras ma langueur, et non mon inconstance ;
Et de peur de t’ôter un captif par ma mort,
J’attendrai ce bonheur de mon funeste sort.
Jusque-là mes douleurs, publiant ta victoire,
Sur mon front pâlissant élèveront ta gloire,
Et sauront en tous lieux hautement témoigner
Que, sans me refroidir, tu m’as pu dédaigner.

Fin du second acte
**
LA GALERIE DU PALAIS

 

ACTE III

Scène première

Lysandre, Aronte.

Lysandre.

Tu me donnes, Aronte, un étrange remède.

Aronte.

Souverain toutefois au mal qui vous possède,
Croyez-moi, j’en ai vu des succès merveilleux
À remettre au devoir ces esprits orgueilleux :
Quand on leur sait donner un peu de jalousie,
Ils ont bientôt quitté ces traits de fantaisie ;
Car enfin tout l’éclat de ces emportements
Ne peut avoir pour but de perdre leurs amants.

Lysandre.

Que voudrait donc par là mon ingrate maîtresse ?

Aronte.

Elle vous joue un tour de la plus haute adresse.
Avez-vous bien pris garde au temps de ses mépris ?
Tant qu’elle vous a cru légèrement épris,
Que votre chaîne encor n’était pas assez forte,
Vous a-t-elle jamais gouverné de la sorte ?
Vous ignoriez alors l’usage des soupirs ;
Ce n’étaient que douceurs, ce n’étaient que plaisirs :
Son esprit avisé voulait par cette ruse
Établir un pouvoir dont maintenant elle use.
Remarquez-en l’adresse ; elle fait vanité
De voir dans ses dédains votre fidélité.
Votre humeur endurante à ces rigueurs l’invite.
On voit par là vos feux, par vos feux son mérite ;
Et cette fermeté de vos affections
Montre un effet puissant de ses perfections.
Osez-vous espérer qu’elle soit plus humaine,
Puisque sa gloire augmente, augmentant votre peine ?
Rabattez cet orgueil, faites-lui soupçonner
Que vous vous en piquez jusqu’à l’abandonner.
La crainte d’en voir naître une si juste suite
À vivre comme il faut l’aura bientôt réduite ;
Elle en fuira la honte, et ne souffrira pas
Que ce change s’impute à son manque d’appas.
Il est de son honneur d’empêcher qu’on présume
Qu’on éteigne aisément les flammes qu’elle allume.
Feignez d’aimer quelque autre, et vous verrez alors
Combien à vous reprendre elle fera d’efforts.

Lysandre.

Mais peux-tu me juger capable d’une feinte ?

Aronte.

Pouvez-vous trouver rude un moment de contrainte ?

Lysandre.

Je trouve ses mépris plus doux à supporter.

Aronte.

Pour les faire finir, il faut les imiter.

Lysandre.

Faut-il être inconstant pour la rendre fidèle ?

Aronte.

Il faut souffrir toujours, ou déguiser comme elle.

Lysandre.

Que de raisons, Aronte, à combattre mon cœur,
Qui ne peut adorer que son premier vainqueur !
Du moins auparavant que l’effet en éclate,
Fais un effort pour moi, va trouver mon ingrate :
Mets-lui devant les yeux mes services passés,
Mes feux si bien reçus, si mal récompensés,
L’excès de mes tourments et de ses injustices ;
Emploie à la gagner tes meilleurs artifices.
Que n’obtiendras-tu point par ta dextérité,
Puisque tu viens à bout de ma fidélité ?

Aronte.

Mais, mon possible fait, si cela ne succède ?

Lysandre.

Je feindrai dès demain qu’Aminte me possède.

Aronte.

Aminte ! Ah ! commencez la feinte dès demain ;
Mais n’allez point courir au faubourg Saint-Germain.
Et quand penseriez-vous que cette âme cruelle
Dans le fond du Marais en reçût la nouvelle ?
Vous seriez tout un siècle à lui vouloir du bien,
Sans que votre arrogante en apprît jamais rien.
Puisque vous voulez feindre, il faut feindre à sa vue,
Qu’aussitôt votre feinte en puisse être aperçue,
Qu’elle blesse les yeux de son esprit jaloux,
Et porte jusqu’au cœur d’inévitables coups.
Ce sera faire au vôtre un peu de violence ;
Mais tout le fruit consiste à feindre en sa présence.

Lysandre.

Hippolyte, en ce cas, serait fort à propos ;
Mais je crains qu’un ami en perdît le repos.
Dorimant, dont ses yeux ont charmé le courage,
Autant que Célidée en aurait de l’ombrage.

Aronte.

Vous verrez si soudain rallumer son amour,
Que la feinte n’est pas pour durer plus d’un jour ;
Et vous aurez après un sujet de risée
Des soupçons mal fondés de son âme abusée.

Lysandre.

Va trouver Célidée, et puis nous résoudrons,
En ces extrémités, quel avis nous prendrons.

ACTE III
Scène II

Aronte, Florice.

Aronte,
seul.

Sans que pour l’apaiser je me rompe la tête,
Mon message est tout fait et sa réponse prête.
Bien loin que mon discours pût la persuader,
Elle n’aura jamais voulu me regarder.
Une prompte retraite au seul nom de Lysandre,
C’est par où ses dédains se seront fait entendre.
Mes amours du passé ne m’ont que trop appris
Avec quelles couleurs il faut peindre un mépris.
À peine faisait-on semblant de me connaître,
De sorte…

Florice.

De sorte… Aronte, eh bien, qu’as-tu fait vers ton maître ?
Le verrons-nous bientôt ?

Aronte.

Le verrons-nous bientôt ? N’en sois plus en souci ;
Dans une heure au plus tard je te le rends ici.

Florice.

Prêt à lui témoigner…

Aronte.

Prêt à lui témoigner… Tout prêt. Adieu. Je tremble
Que de chez Célidée on ne nous voie ensemble.

ACTE III
Scène III

Hippolyte, Florice.

Hippolyte.

D’où vient que mon abord l’oblige à te quitter ?

Florice.

Tant s’en faut qu’il vous fuie, il vient de me conter…
Toutefois je ne sais si je vous le dois dire.

Hippolyte.

Que tu te plais, Florice, à me mettre en martyre !

Florice.

Il faut vous préparer à des ravissements…

Hippolyte.

Ta longueur m’y prépare avec bien des tourments.
Dépêche ; ces discours font mourir Hippolyte.

Florice.

Mourez donc promptement, que je vous ressuscite.

Hippolyte.

L’insupportable femme ! Enfin diras-tu rien ?

Florice.

L’impatiente fille ! Enfin tout ira bien.

Hippolyte.

Enfin tout ira bien ? Ne saurai-je autre chose ?

Florice.

Il faut que votre esprit là-dessus se repose.
Vous ne pouviez tantôt souffrir de longs propos,
Et pour vous obliger, j’ai tout dit en trois mots ;
Mais ce que maintenant vous n’en pouvez apprendre,
Vous l’apprendrez bientôt plus au long de Lysandre.

Hippolyte.

Tu ne flattes mon cœur que d’un espoir confus.

Florice.

Parlez à votre amie, et ne vous fâchez plus.

ACTE III
Scène IV

Célidée, Hippolyte, Florice.

Célidée.

Mon abord importun rompt votre conférence :
Tu m’en voudras du mal.

Hippolyte.

Tu m’en voudras du mal. Du mal ? et l’apparence ?
Je ne sais pas aimer de si mauvaise foi ;
Et tout à l’heure encor je lui parlais de toi.

Célidée.

Je me retire donc, afin que sans contrainte…

Hippolyte.

Quitte cette grimace, et mets à part la feinte.
Tu fais la réservée en ces occasions,
Mais tu meurs de savoir ce que nous en disions.

Célidée.

Tu meurs de le conter plus que moi de l’apprendre,
Et tu prendrais pour crime un refus de l’entendre.
Puis donc que tu le veux, ma curiosité…

Hippolyte.

Vraiment, tu me confonds de ta civilité.

Célidée.

Voilà de tes détours, et comme tu diffères
À me dire en quel point vous teniez mes affaires.

Hippolyte.

Nous parlions du dessein d’éprouver ton amant.
Tu l’as vu réussir à ton contentement ?

Célidée.

Je viens te voir exprès pour t’en dire l’issue :
Que je m’en suis trouvée heureusement déçue !
Je présumais beaucoup de ses affections,
Mais je n’attendais pas tant de submissions.
Jamais le désespoir qui saisit son courage
N’en put tirer un mot à mon désavantage ;
Il tenait mes dédains encor trop précieux,
Et ses reproches même étaient officieux.
Aussi ce grand amour a rallumé ma flamme :
Le change n’a plus rien qui chatouille mon âme ;
Il n’a plus de douceur pour mon esprit flottant,
Aussi ferme à présent qu’il le croit inconstant.

Florice.

Quoi que vous ayez vu de sa persévérance,
N’en prenez pas encore une entière assurance.
L’espoir de vous fléchir a pu le premier jour
Jeter sur son dépit ces beaux dehors d’amour ;
Mais vous verrez bientôt que pour qui le méprise
Toute légèreté lui semblera permise.
J’ai vu des amoureux de toutes les façons.

Hippolyte.

Cette bizarre humeur n’est jamais sans soupçons.
L’avantage qu’elle a d’un peu d’expérience
Tient éternellement son âme en défiance ;
Mais ce qu’elle te dit ne vaut pas l’écouter.

Célidée.

Et je ne suis pas fille à m’en épouvanter.
Je veux que ma rigueur à tes yeux continue,
Et lors sa fermeté te sera mieux connue ;
Tu ne verras des traits que d’un amour si fort,
Que Florice elle-même avouera qu’elle a tort.

Hippolyte.

Ce sera trop longtemps lui paraître cruelle.

Célidée.

Tu connaîtras par là combien il m’est fidèle.
Le ciel à ce dessein nous l’envoie à propos.

Hippolyte.

Et quand te résous-tu de le mettre en repos ?

Célidée.

Trouve bon, je te prie, après un peu de feinte,
Que mes feux violents s’expliquent sans contrainte ;
Et pour le rappeler des portes du trépas,
Si j’en dis un peu trop, ne t’en offense pas.

ACTE III
Scène V

Lysandre, Célidée, Hippolyte, Florice.

Lysandre.

Merveille des beautés, seul objet qui m’engage…

Célidée.

N’oublierez-vous jamais cet importun langage ?
Vous obstiner encore à me persécuter,
C’est prendre du plaisir à vous voir maltraiter.
Perdez mon souvenir avec votre espérance,
Et ne m’accablez plus de cette déférence.
Il faut, pour m’arrêter, des entretiens meilleurs.

Lysandre.

Quoi ! vous prenez pour vous ce que j’adresse ailleurs ?
Adore qui voudra votre rare mérite,
Un change heureux me donne à la belle Hippolyte :
Mon sort en cela seul a voulu me trahir,
Qu’en ce change mon cœur semble vous obéir,
Et que mon feu passé vous va rendre si vaine

Que vous imputerez ma flamme à votre haine,
À votre orgueil nouveau mes nouveaux sentiments,
L’effet de ma raison à vos commandements.

Célidée.

Tant s’en faut que je prenne une si triste gloire,
Je chasse mes dédains même de ma mémoire,
Et dans leur souvenir rien ne me semble doux,
Puisqu’en le conservant je penserais à vous.

Lysandre,
à Hippolyte.

Beauté de qui les yeux, nouveaux rois de mon âme,
Me font être léger sans en craindre le blâme…

Hippolyte.

Ne vous emportez point à ces propos perdus,
Et cessez de m’offrir des vœux qui lui sont dus ;
Je pense mieux valoir que le refus d’une autre.
Si vous voulez venger son mépris par le vôtre,
Ne venez point du moins m’enrichir de son bien.
Elle vous traite mal, mais elle n’aime rien.
Vous, faites-en autant, sans chercher de retraite
Aux importunités dont elle s’est défaite.

Lysandre.

Que son exemple encor réglât mes actions !
Cela fut bon du temps de mes affections ;
À présent que mon cœur adore une autre reine,
À présent qu’Hippolyte en est la souveraine…

Hippolyte.

C’est elle seulement que vous voulez flatter.

Lysandre.

C’est elle seulement que je dois imiter.

Hippolyte.

Savez-vous donc à quoi la raison vous oblige ?
C’est à me négliger, comme je vous néglige.

Lysandre.

Je ne puis imiter ce mépris de mes feux,
À moins qu’à votre tour vous m’offriez des vœux :
Donnez-m’en les moyens, vous en verrez l’issue.

Hippolyte.

J’appréhenderais fort d’être trop bien reçue,
Et qu’au lieu du plaisir de me voir imiter
Je n’eusse que l’honneur de me faire écouter,
Pour n’avoir que la honte après de me dédire.

Lysandre.

Souffrez donc que mon cœur sans exemple soupire,
Qu’il aime sans exemple, et que mes passions
S’égalent seulement à vos perfections.
Je vaincrai vos rigueurs par mon humble service,
Et ma fidélité…

Célidée.

Et ma fidélité… Viens avec moi, Florice :
J’ai des nippes en haut que je veux te montrer.

ACTE III
Scène VI

Hippolyte, Lysandre.

Hippolyte.

Quoi ? sans la retenir, vous la laissez rentrer ?
Allez, Lysandre, allez ; c’est assez de contraintes ;
J’ai pitié du tourment que vous donnent ces feintes.
Suivez ce bel objet dont les charmes puissants
Sont et seront toujours absolus sur vos sens.
Quoi qu’après ses dédains un peu d’orgueil publie,
Son mérite est trop grand pour souffrir qu’on l’oublie ;
Elle a des qualités, et de corps, et d’esprit,
Dont pas un cœur donné jamais ne se reprit.

Lysandre.

Mon change fera voir l’avantage des vôtres,
Qu’en la comparaison des unes et des autres
Les siennes désormais n’ont qu’un éclat terni,
Que son mérite est grand, et le vôtre infini.

Hippolyte.

Que j’emporte sur elle aucune préférence !
Vous tenez des discours qui sont hors d’apparence ;
Elle me passe en tout ; et dans ce changement,
Chacun vous blâmerait de peu de jugement.

Lysandre.

M’en blâmer en ce cas, c’est en manquer soi-même,
Et choquer la raison, qui veut que je vous aime.
Nous sommes hors du temps de cette vieille erreur
Qui faisait de l’amour une aveugle fureur,
Et l’ayant aveuglé, lui donnait pour conduite
Le mouvement d’une âme et surprise et séduite.
Ceux qui l’ont peint sans yeux ne le connaissaient pas ;
C’est par les yeux qu’il entre, et nous dit vos appas ;
Lors notre esprit en juge ; et suivant le mérite,
Il fait croître une ardeur que cette vue excite.
Si la mienne pour vous se relâche un moment,
C’est lors que je croirai manquer de jugement ;
Et la même raison qui vous rend admirable
Doit rendre comme vous ma flamme incomparable.

Hippolyte.

Epargnez avec moi ces propos affétés.
Encore hier Célidée avait ces qualités ;
Encore hier en mérite elle était sans pareille.
Si je suis aujourd’hui cette unique merveille,
Demain quelque autre objet, dont vous suivrez la loi,
Gagnera votre cœur et ce titre sur moi.
Un esprit inconstant a toujours cette adresse.

ACTE III
Scène VII

Chrysante, Pleirante, Hippolyte, Lysandre.

Chrysante.

Monsieur, j’aime ma fille avec trop de tendresse
Pour la vouloir contraindre en ses affections.

Pleirante.

Madame, vous saurez ses inclinations ;
Elle voudra vous plaire, et je l’en vois sourire.
(À Lysandre.)
Allons, mon cavalier, j’ai deux mots à vous dire.

Chrysante.

Vous en aurez réponse avant qu’il soit trois jours.

ACTE III
Scène VIII

Chrysante, Hippolyte.

Chrysante.

Devinerais-tu bien quels étaient nos discours ?

Hippolyte.

Il vous parlait d’amour peut-être ?

Chrysante.

Il vous parlait d’amour peut-être ? Oui : que t’en semble ?

Hippolyte.

D’âge presque pareils, vous seriez bien ensemble.

Chrysante.

Tu me donnes vraiment un gracieux détour ;
C’était pour ton sujet qu’il me parlait d’amour.

Hippolyte.

Pour moi ? Ces jours passés, un poète qui m’adore,
Du moins à ce qu’il dit, m’égalait à l’Aurore ;
Je me raillais alors de sa comparaison.
Mais, si cela se fait, il avait bien raison.

Chrysante.

Avec tout ce babil, tu n’es qu’une étourdie.
Le bonhomme est bien loin de cette maladie ;
Il veut te marier, mais c’est à Dorimant :
Vois si tu te résous d’accepter cet amant.

Hippolyte.

Dessus tous mes désirs vous êtes absolue,
Et si vous le voulez, m’y voilà résolue.
Dorimant vaut beaucoup, je vous le dis sans fard ;
Mais remarquez un peu le trait de ce vieillard :
Lysandre si longtemps a brûlé pour sa fille,
Qu’il en faisait déjà l’appui de sa famille ;
À présent que ses feux ne sont plus que pour moi,
Il voudrait bien qu’un autre eût engagé ma foi,
Afin que sans espoir dans cette amour nouvelle,
Un nouveau changement le ramenât vers elle.
N’avez-vous point pris garde, en vous disant adieu,
Qu’il a presque arraché Lysandre de ce lieu ?

Chrysante.

Simple ! ce qu’il en fait, ce n’est qu’à sa prière.
Et Lysandre tient même à faveur singulière…

Hippolyte.

Je sais que Dorimant est un de ses amis ;
Mais vous voyez d’ailleurs que le ciel a permis
Que pour mieux vous montrer que tout n’est qu’artifice,
Lysandre me faisait ses offres de service.

Chrysante.

Aucun des deux n’est homme à se jouer de nous.
Quelque secret mystère est caché là-dessous.
Allons, pour en tirer la vérité plus claire,
Seules dedans ma chambre examiner l’affaire ;
Ici quelque importun pourrait nous aborder.

ACTE III
Scène IX

Hippolyte, Florice.

Hippolyte.

J’aurai bien de la peine à la persuader :
Ah, Florice ! en quel point laisses-tu Célidée ?

Florice.

De honte et de dépit tout à fait possédée.

Hippolyte.

Que t’a-t-elle montré ?

Florice.

Que t’a-t-elle montré ? Cent choses à la fois,
Selon que le hasard les mettait sous ses doigts :
Ce n’était qu’un prétexte à faire sa retraite.

Hippolyte.

Elle t’a témoigné d’être fort satisfaite ?

Florice.

Sans que je vous amuse en discours superflus,
Son visage suffit pour juger du surplus.
Hippolyte regarde Célidée.
Ses pleurs ne se sauraient empêcher de descendre ;
Et j’en aurais pitié si je n’aimais Lysandre.

ACTE III
Scène X

Célidée.

Infidèles témoins d’un feu mal allumé,
Soyez-les de ma honte ; et vous fondant en larmes,
Punissez-vous, mes yeux, d’avoir trop présumé
Du pouvoir de vos charmes.
De quoi vous a servi d’avoir su me flatter,
D’avoir pris le parti d’un ingrat qui me trompe,
S’il ne fit le constant qu’afin de me quitter
Avecque plus de pompe ?
Quand je m’en veux défaire, il est parfait amant ;
Quand je veux le garder, il n’en fait plus de compte ;
Et n’ayant pu le perdre avec contentement,
Je le perds avec honte.
Ce que j’eus lors de joie augmente mon regret ;
Par là mon désespoir davantage se pique.
Quand je le crus constant, mon plaisir fut secret,
Et ma honte est publique.
Le traître avait senti qu’alors me négliger
C’était à Dorimant livrer toute mon âme ;
Et la constance plut à cet esprit léger
Pour amortir ma flamme.
Autant que j’eus de peine à l’éteindre en naissant,
Autant m’en faudra-t-il à la faire renaître :
De peur qu’a cet amour d’être encore impuissant,
Il n’ose plus paraître.
Outre que, de mon cœur pleinement exilé,
Et n’y conservant plus aucune intelligence,
Il est trop glorieux pour n’être rappelé
Qu’à servir ma vengeance.
Mais j’aperçois celui qui le porte en ses yeux.
Courage donc, mon cœur ; espérons un peu mieux.
Je sens bien que déjà devers lui tu t’envoles ;
Mais pour t’accompagner je n’ai point de paroles :
Ma honte et ma douleur, surmontant mes désirs,
N’en laissent le passage ouvert qu’à mes soupirs.

ACTE III
Scène XI

Dorimant, Célidée, Cléante.

Dorimant.

Dans ce profond penser, pâle, triste, abattue,
Ou quelque grand malheur de Lysandre vous tue,
Ou bientôt vos douleurs l’accableront d’ennuis.

Célidée.

Il est cause en effet de l’état où je suis,
Non pas en la façon qu’un ami s’imagine,
Mais…

Dorimant.

Mais… Vous n’achevez point, faut-il que je devine ?

Célidée.

Permettez que je cède à la confusion,
Qui m’étouffe la voix en cette occasion.
J’ai d’incroyables traits de Lysandre à vous dire :
Mais ce reste du jour souffrez que je respire,
Et m’obligez demain que je vous puisse voir.
(Elle sort.)

Dorimant.

De sorte qu’à présent on n’en peut rien savoir ?
Dieux ! elle se dérobe, et me laisse en un doute…
Poursuivons toutefois notre première route ;
Peut-être ces beaux yeux, dont l’éclat me surprit,
De ce fâcheux soupçon purgeront mon esprit.
(À Cléante.)
Frappe.

ACTE III
Scène XII

Dorimant, Florice, Cléante.

Florice.

Frappe. Que vous plaît-il ?

Dorimant.

Frappe. Que vous plaît-il ? Peut-on voir Hippolyte ?

Florice.

Elle vient de sortir pour faire une visite.

Dorimant.

Ainsi, tout aujourd’hui mes pas ont été vains.
Florice, à ce défaut, fais-lui mes baisemains.

Florice,
seule.

Ce sont des compliments qu’il fait mauvais lui faire.
Depuis que ce Lysandre a tâché de lui plaire,
Elle ne veut plus être au logis que pour lui,
Et tous autres devoirs lui donnent de l’ennui.

Fin du troisième acte

 

**

La Galerie du Palais

ACTE IV

Scène première

Hippolyte, Aronte.

Hippolyte.

À cet excès d’amour qu’il me faisait paraître,
Je me croyais déjà maîtresse de ton maître ;
Tu m’as fait grand dépit de me désabuser.
Qu’il a l’esprit adroit quand il veut déguiser !
Et que pour mettre en jour ces compliments frivoles,
Il sait bien ajuster ses yeux à ses paroles !
Mais je me promets tant de ta dextérité,
Qu’il tournera bientôt la feinte en vérité.

Aronte.

Je n’ose l’espérer : sa passion trop forte
Déjà vers son objet malgré moi le remporte ;
Et comme s’il avait reconnu son erreur,
Vos yeux lui sont à charge, et sa feinte en horreur :
Même il m’a commandé d’aller vers sa cruelle
Lui jurer que son cœur n’a brûlé que pour elle,
Attaquer son orgueil par des submissions…

Hippolyte.

J’entends assez le but de tes commissions.
Tu vas tâcher pour lui d’amollir son courage ?

Aronte.

J’emploie auprès de vous le temps de ce message,
Et la ferai parler tantôt à mon retour
D’une façon mal propre à donner de l’amour ;
Mais après mon rapport, si son ardeur extrême
Le résout à porter son message lui-même,
Je ne réponds de rien. L’amour qu’ils ont tous deux
Vaincra notre artifice, et parlera pour eux.

Hippolyte.

Sa maîtresse éblouie ignore encor ma flamme,
Et laisse à mes conseils tout pouvoir sur son âme.
Ainsi tout est à nous, s’il ne faut qu’empêcher
Qu’un si fidèle amant n’en puisse rapprocher.

Aronte.

Qui pourrait toutefois en détourner Lysandre,
Ce serait le plus sûr.

Hippolyte.

Ce serait le plus sûr. N’oses-tu l’entreprendre ?

Aronte.

Donnez-moi les moyens de le rendre jaloux,
Et vous verrez après frapper d’étranges coups.

Hippolyte.

L’autre jour Dorimant toucha fort ma rivale,
Jusque-là qu’entre eux deux son âme était égale ;
Mais Lysandre depuis, endurant sa rigueur,
Lui montra tant d’amour qu’il regagna son cœur.

Aronte.

Donc à voir Célidée et Dorimant ensemble,
Quelque dieu qui vous aime aujourd’hui les assemble.

Hippolyte.

Fais-les voir à ton maître, et ne perds point ce temps,
Puisque de là dépend le bonheur que j’attends.

ACTE IV
Scène II

Dorimant, Célidée, Aronte.

Dorimant.

Aronte, un mot. Tu fuis ? Crains-tu que je te voie ?

Aronte.

Non ; mais pressé d’aller où mon maître m’envoie,
J’avais doublé le pas sans vous apercevoir.

Dorimant.

D’où viens-tu ?

Aronte.

D’où viens-tu ? D’un logis vers la Croix-du-Tiroir.

Dorimant.

C’est donc en ce Marais que finit ton voyage ?

Aronte.

Non ; je cours au Palais faire encore un message.

Dorimant.

Et c’en est le chemin de passer par ici ?

Aronte.

Souffrez que j’aille ôter mon maître de souci ;
Il meurt d’impatience à force de m’attendre.

Dorimant.

Et touchant mes amours ne peux-tu rien m’apprendre ?
As-tu vu depuis peu l’objet que je chéris ?

Aronte.

Oui, tantôt en passant j’ai rencontré Cloris.
Dorimant Tu cherches des détours : je parle d’Hippolyte.

Célidée.

Et c’est là seulement le discours qu’il évite.
Tu t’enferres, Aronte ; et, pris au dépourvu,
En vain tu veux cacher ce que nous avons vu.
Va, ne sois point honteux des crimes de ton maître :
Pourquoi désavouer ce qu’il fait trop paraître ?
Il la sert à mes yeux, cet infidèle amant,
Et te vient d’envoyer lui faire un compliment.
(Aronte sort.)

ACTE IV
Scène III

Dorimant, Célidée.

Célidée.

Après cette retraite et ce morne silence,
Pouvez-vous bien encor demeurer en balance ?

Dorimant.

Je n’en ai que trop vu, mes yeux m’en ont trop dit :
Aronte, en me parlant, était tout interdit,
Et sa confusion portait sur son visage
Assez et trop de jour pour lire son message.
Traître, traître Lysandre, est-ce là donc le fruit
Qu’en faveur de mes feux ton amitié produit ?

Célidée.

Connaissez tout à fait l’humeur de l’infidèle,
Votre amour seulement la lui fait trouver belle :
Cet objet, tout aimable et tout parfait qu’il est,
N’a des charmes pour lui que depuis qu’il vous plaît ;
Et votre affection, de la sienne suivie,
Montre que c’est par là qu’il en a pris envie,
Qu’il veut moins l’acquérir que vous le dérober.

Dorimant.

Voici, dans ce larcin, qui le fait succomber.
En ce dessein commun de servir Hippolyte,
Il faut voir seul à seul qui des deux la mérite :
Son sang me répondra de son manque de foi,
Et me fera raison et pour vous et pour moi.
Notre vieille union ne fait qu’aigrir mon âme,
Et mon amitié meurt voyant naître sa flamme.

Célidée.

Vouloir quelque mesure entre un perfide et vous,
Est-ce faire justice à ce juste courroux ?
Pouvez-vous présumer, après sa tromperie,
Qu’il ait dans les combats moins de supercherie ?
Certes pour le punir c’est trop vous négliger,
Et chercher à vous perdre au lieu de vous venger.

Dorimant.

Pourriez-vous approuver que je prisse avantage
Pour immoler ce traître à mon peu de courage ?
J’achèterais trop cher la mort du suborneur,
Si pour avoir sa vie il m’en coûtait l’honneur,
Et montrerais une âme, et trop basse et trop noire,
De ménager mon sang aux dépens de ma gloire.

Célidée.

Sans les voir l’un ni l’autre en péril exposés,
Il est pour vous venger des moyens plus aisés.
Pour peu que vous fussiez de mon intelligence,
Vous auriez bientôt pris une juste vengeance ;
Et vous pourriez sans bruit ôter à l’inconstant…

Dorimant.

Quoi ? ce qu’il m’a volé ?

Célidée.

Quoi ? ce qu’il m’a volé ? Non, mais du moins autant.

Dorimant.

La faiblesse du sexe en ce point vous conseille ;
Il se croit trop vengé, quand il rend la pareille :
Mais suivre le chemin que vous voulez tenir,
C’est imiter son crime au lieu de le punir ;
Au lieu de lui ravir une belle maîtresse,
C’est prendre, à son refus, une beauté qu’il laisse.
(Lysandre vient avec Aronte, qui lui fait voir Dorimant avec Célidée.)
C’est lui faire plaisir, au lieu de l’affliger,
C’est souffrir un affront, et non pas se venger.
J’en perds ici le temps. Adieu : je me retire ;
Mais, avant qu’il soit peu, si vous entendez dire
Qu’un coup fatal et juste ait puni l’imposteur,
Vous pourrez aisément en deviner l’auteur.

Célidée.

De grâce, encore un mot. Hélas ! il m’abandonne
Aux cuisants déplaisirs que ma douleur me donne.
Rentre, pauvre abusée, et dedans tes malheurs,
Si tu ne les retiens, cache du moins tes pleurs !

ACTE IV
Scène IV

Lysandre, Aronte.

Aronte.

Eh bien, qu’en dites-vous ? et que vous semble d’elle ?

Lysandre.

Hélas ! pour mon malheur, tu n’es que trop fidèle,
N’exerce plus tes soins à me faire endurer ;
Ma plus douce fortune est de tout ignorer :
Je serais trop heureux sans le rapport d’Aronte.

Aronte.

Encor pour Dorimant, il en a quelque honte ;
Vous voyant, il a fui.

Lysandre.

Vous voyant, il a fui. Mais mon ingrate alors,
Pour empêcher sa fuite a fait tous ses efforts,
Aronte, et tu prenais ses dédains pour des feintes !
Tu croyais que son cœur n’eût point d’autres atteintes,
Que son esprit entier se conservait à moi,
Et parmi ses rigueurs n’oubliait point sa foi.

Aronte.

À vous dire le vrai, j’en suis trompé moi-même.
Après deux ans passés dans un amour extrême,
Que sans occasion elle vînt à changer !
Je me fusse tenu coupable d’y songer ;
Mais puisque sans raison la volage vous change,
Faites qu’avec raison un changement vous venge.
Pour punir comme il faut son infidélité,
Vous n’avez qu’à tourner la feinte en vérité.

Lysandre.

Misérable ! est-ce ainsi qu’il faut qu’on me soulage ?
Ai-je trop peu souffert sous cette humeur volage ?
Et veux-tu désormais que par un second choix
Je m’engage à souffrir encore une autre fois ?
Qui t’a dit qu’Hippolyte à cette amour nouvelle
Se rendrait plus sensible, ou serait plus fidèle ?

Aronte.

Vous en devez, monsieur, présumer beaucoup mieux.

Lysandre.

Conseiller importun, ôte-toi de mes yeux.

Aronte.

Son âme…

Lysandre.

Son âme… Ote-toi, dis-je ; et dérobe ta tête
Aux violents effets que ma colère apprête :
Ma bouillante fureur ne cherche qu’un objet ;
Va, tu l’attirerais sur un sang trop abjet.

ACTE IV
Scène V

Lysandre.

Il faut à mon courroux de plus nobles victimes ;
Il faut qu’un même coup me venge de deux crimes ;
Qu’après les trahisons de ce couple indiscret,
L’un meure de ma main, et l’autre de regret.
Oui, la mort de l’amant punira la maîtresse ;
Et mes plaisirs alors naîtront de sa tristesse.
Mon cœur, à qui mes yeux apprendront ses tourments,
Permettra le retour à mes contentements ;
Ce visage si beau, si bien pourvu de charmes,
N’en aura plus pour moi, s’il n’est couvert de larmes.
Ses douleurs seulement ont droit de me guérir ;
Pour me résoudre à vivre il faut la voir mourir.
Frénétiques transports, avec quelle insolence
Portez-vous mon esprit à tant de violence ?
Allez, vous avez pris trop d’empire sur moi ;
Dois-je être sans raison, parce qu’ils sont sans foi ?
Dorimant, Célidée, ami, chère maîtresse,
Suivrais-je contre vous la fureur qui me presse ?
Quoi ? vous ayant aimés, pourrais-je vous haïr ?
Mais vous pourrais-je aimer, quand vous m’osez trahir ?
Qu’un rigoureux combat déchire mon courage !
Ma jalousie augmente, et redouble ma rage ;
Mais quelques fiers projets qu’elle jette en mon cœur,
L’amour… Ah ! ce mot seul me range à la douceur.
Celle que nous aimons jamais ne nous offense ;
Un mouvement secret prend toujours sa défense :
L’amant souffre tout d’elle ; et dans son changement,
Quelque irrité qu’il soit, il est toujours amant.
Toutefois, si l’amour contre elle m’intimide,
Revenez, mes fureurs, pour punir le perfide ;
Arrachez-lui mon bien ; une telle beauté
N’est pas le juste prix d’une déloyauté.
Souffrirais-je, à mes yeux, que par ses artifices
Il recueillît les fruits dus à mes longs services ?
S’il vous faut épargner le sujet de mes feux,
Que ce traître du moins réponde pour tous deux.
Vous me devez son sang pour expier son crime :
Contre sa lâcheté tout vous est légitime ;
Et quelques châtiments… Mais, dieux ! que vois-je ici ?

ACTE IV
Scène VI

Hippolyte, Lysandre.

Hippolyte.

Vous avez dans l’esprit quelque pesant souci ;
Ce visage enflammé, ces yeux pleins de colère,
En font voir au-dehors une marque trop claire.
Je prends assez de part en tous vos intérêts
Pour vouloir en aveugle y mêler mes regrets.
Mais si vous me disiez ce qui cause vos peines…

Lysandre.

Ah ! ne m’imposez point de si cruelles gênes ;
C’est irriter mes maux que de me secourir ;
La mort, la seule mort a droit de me guérir.

Hippolyte.

Si vous vous obstinez à m’en taire la cause,
Tout mon pouvoir sur vous n’est que fort peu de chose.

Lysandre.

Vous l’avez souverain, hormis en ce seul point.

Hippolyte.

Laissez-le-moi partout, ou ne m’en laissez point.
C’est n’aimer qu’à demi qu’aimer avec réserve ;
Et ce n’est pas ainsi que je veux qu’on me serve.
Il faut m’apprendre tout, et lorsque je vous voi,
Etre de belle humeur, ou n’être plus à moi.

Lysandre.

Ne perdez point d’efforts à vaincre mon silence :
Vous useriez sur moi de trop de violence.
Adieu : je vous ennuie, et les grands déplaisirs
Veulent en liberté s’exhaler en soupirs.

ACTE IV
Scène VII

Hippolyte.

C’est donc là tout l’état que tu fais d’Hippolyte ?
Après des vœux offerts, c’est ainsi qu’on me quitte ?
Qu’Aronte jugeait bien que ses feintes amours,
Avant qu’il fût longtemps, interrompraient leur cours !
Dans ce peu de succès des ruses de Florice,
J’ai manqué de bonheur, mais non pas de malice ;
Et si j’en puis jamais trouver l’occasion,
J’y mettrai bien encor de la division.
Si notre pauvre amant est plein de jalousie,
Ma rivale, qui sort, n’en est pas moins saisie.

ACTE IV
Scène VIII

Hippolyte, Célidée.

Célidée.

N’ai-je pas tantôt vu mon perfide avec vous ?
Il a bientôt quitté des entretiens si doux.

Hippolyte.

Qu’y ferait-il, ma sœur ? Ta fidèle Hippolyte
Traite cet inconstant ainsi qu’il le mérite.
Il a beau m’en conter de toutes les façons,
Je le renvoie ailleurs pratiquer ses leçons.

Célidée.

Le parjure à présent est fort sur ta louange ?

Hippolyte.

Il ne tient pas à lui que je ne sois un ange ;
Et quand il vient ensuite à parler de ses feux,
Aucune passion jamais n’approcha d’eux.
Par tous ces vains discours il croit fort qu’il m’oblige,
Mais non la moitié tant qu’alors qu’il te néglige :
C’est par là qu’il me pense acquérir puissamment ;
Et moi, qui t’ai toujours chérie uniquement,
Je te laisse à juger alors si je l’endure.

Célidée.

C’est trop prendre, ma sœur, de part en mon injure ;
Laisse-le mépriser celle dont les mépris
Sont cause maintenant que d’autres yeux l’ont pris.
Si Lysandre te plaît, possède le volage,
Mais ne me traite point avec désavantage ;
Et si tu te résous d’accepter mon amant,
Relâche-moi du moins le cœur de Dorimant.

Hippolyte.

Pourvu que leur pouvoir se range sous le nôtre,
Je te donne le choix et de l’un et de l’autre ;
Ou, si l’un ne suffit à ton jeune désir,
Défais-moi de tous deux, tu me feras plaisir.
J’estimai fort Lysandre avant que le connaître ;
Mais depuis cet amour que mes yeux ont fait naître,
Je te répute heureuse après l’avoir perdu.
Que son humeur est vaine ! et qu’il fait l’entendu !
Que son discours est fade avec ses flatteries !
Qu’on est importuné de ses afféteries !
Vraiment, si tout le monde était fait comme lui,
Je crois qu’avant deux jours je sécherais d’ennui.

Célidée.

Qu’en cela du destin l’ordonnance fatale
A pris pour nos malheurs une route inégale !
L’un et l’autre me fuit, et je brûle pour eux,
L’un et l’autre t’adore, et tu les fuis tous deux.

Hippolyte.

Si nous changions de sort, que nous serions contentes !

Célidée.

Outre, hélas ! que le ciel s’oppose à nos attentes,
Lysandre n’a plus rien à rengager ma foi.

Hippolyte.

Mais l’autre, tu voudrais…

ACTE IV
Scène IX

Pleirante, Hippolyte, Célidée.

Pleirante.

Mais l’autre, tu voudrais… Ne rompez pas pour moi ;
Craignez-vous qu’un ami sache de vos nouvelles ?

Hippolyte.

Nous causions de mouchoirs, de rabats, de dentelles,
De ménages de fille.

Pleirante.

De ménages de fille. Et parmi ces discours,
Vous confériez ensemble un peu de vos amours :
Eh bien, ce serviteur, l’aura-t-on agréable ?

Hippolyte.

Vous m’attaquez toujours par quelque trait semblable.
Des hommes comme vous ne sont que des conteurs.
Vraiment c’est bien à moi d’avoir des serviteurs !

Pleirante.

Parlons, parlons français. Enfin, pour cette affaire,
Nous en remettrons-nous à l’avis d’une mère ?

Hippolyte.

J’obéirai toujours à son commandement.
Mais, de grâce, monsieur, parlez plus clairement :
Je ne puis deviner ce que vous voulez dire.

Pleirante.

Un certain cavalier pour vos beaux yeux soupire…

Hippolyte.

Vous en voulez par là…

Pleirante.

Vous en voulez par là… Ce n’est point fiction
Que ce que je vous dis de son affection.
Votre mère sut hier à quel point il vous aime,
Et veut que ce soit vous qui vous donniez vous-même.

Hippolyte.

Et c’est ce que ma mère, afin de m’expliquer,
Ne m’a point fait l’honneur de me communiquer ;
Mais, pour l’amour de vous, je vais le savoir d’elle.

ACTE IV
Scène X

Pleirante, Célidée.

Pleirante.

Ta compagne est du moins aussi fine que belle.

Célidée.

Elle a bien su, de vrai, se défaire de vous.

Pleirante.

Et fort habilement se parer de mes coups.

Célidée.

Peut-être innocemment, faute d’y rien comprendre.

Pleirante.

Mais faute, bien plutôt, d’y vouloir rien entendre.
Je suis des plus trompés si Dorimant lui plaît.

Célidée.

Y prenez-vous, monsieur, pour lui quelque intérêt ?

Pleirante.

Lysandre m’a prié d’en porter la parole.

Célidée.

Lysandre !

Pleirante.

Lysandre ! Oui, ton Lysandre.

Célidée.

Lysandre ! Oui, ton Lysandre. Et lui-même cajole…

Pleirante.

Quoi ? que cajole-t-il ?

Célidée.

Quoi ? que cajole-t-il ? Hippolyte, à mes yeux.

Pleirante.

Folle, il n’aima jamais que toi dessous les cieux ;
Et nous sommes tout prêts de choisir la journée
Qui bientôt de vous deux termine l’hyménée.
Il se plaint toutefois un peu de ta froideur ;
Mais, pour l’amour de moi, montre-lui plus d’ardeur ;
Parle : ma volonté sera-t-elle obéie ?

Célidée.

Hélas ! qu’on vous abuse après m’avoir trahie !
Il vous fait, cet ingrat, parler pour Dorimant,
Tandis qu’au même objet il s’offre pour amant,
Et traverse par là tout ce qu’à sa prière
Votre vaine entremise avance vers la mère.
Cela, qu’est-ce, monsieur, que se jouer de vous ?

Pleirante.

Qu’il est peu de raison dans ces esprits jaloux !
Eh quoi ! pour un ami s’il rend une visite,
Faut-il s’imaginer qu’il cajole Hippolyte ?

Célidée.

Je sais ce que j’ai vu.

Pleirante.

Je sais ce que j’ai vu. Je sais ce qu’il m’a dit,
Et ne veux plus du tout souffrir de contredit.
Mon choix de votre hymen en sa faveur dispose.

Célidée.

Commandez-moi plutôt, monsieur, toute autre chose.

Pleirante.

Quelle bizarre humeur ! quelle inégalité
De rejeter un bien qu’on a tant souhaité !
La belle, voyez-vous ! qu’on perde ces caprices ;
Il faut pour m’éblouir de meilleurs artifices.
Quelque nouveau venu vous donne dans les yeux,
Quelque jeune étourdi qui vous flatte un peu mieux :
Et parce qu’il vous fait quelque feinte caresse,
Il faut que nous manquions, vous et moi, de promesse ?
Quittez, pour votre bien, ces fantasques refus.

Célidée.

Monsieur…

Pleirante.

Monsieur… Quittez-les, dis-je, et ne contestez plus…

ACTE IV
Scène XI

Célidée.

Fâcheux commandement d’un incrédule père !
Qu’il me fut doux jadis, et qu’il me désespère !
J’avais, auparavant qu’on m’eût manqué de foi,
Le devoir et l’amour tout d’un parti chez moi,
Et ma flamme, d’accord avecque sa puissance,
Unissait mes désirs à mon obéissance ;
Mais, hélas, que depuis cette infidélité
Je trouve d’injustice en son autorité !
Mon esprit s’en révolte, et ma flamme bannie
Fait qu’un pouvoir si saint m’est une tyrannie.
Dures extrémités où mon sort est réduit !
On donne mes faveurs à celui qui les fuit ;
Nous avons l’un pour l’autre une pareille haine,
Et l’on m’attache à lui d’une éternelle chaîne.
Mais s’il ne m’aimait plus, parlerait-il d’amour
À celui dont je tiens la lumière du jour ?
Mais s’il m’aimait encor, verrait-il Hippolyte ?
Mon cœur en même temps se retient et s’excite.
Je ne sais quoi me flatte, et je sens déjà bien
Que mon feu ne dépend que de croire le sien.
Tout beau, ma passion, c’est déjà trop paraître ;
Attends, attends du moins la sienne pour renaître.
À quelle folle erreur me laissé-je emporter !
Il fait tout à dessein de me persécuter.
L’ingrat cherche ma peine, et veut par sa malice
Que l’ordre qu’on me donne augmente mon supplice.
Rentrons, que son objet présenté par hasard
De mon cœur ébranlé ne reprenne une part :
C’est bien assez qu’un père à souffrir me destine,
Sans que mes yeux encore aident à ma ruine.

ACTE IV
Scène XII

La Lingère, le Mercier.

La Lingère,
après qu’ils se sont entre-poussé une boîte qui est entre leurs boutiques.

J’enverrai tout à bas, puis après on verra.
Ardez, vraiment c’est-mon, on vous l’endurera !
Vous êtes un bel homme, et je dois fort vous craindre !

Le Mercier.

Tout est sur mon tapis, qu’avez-vous à vous plaindre ?

La Lingère.

Aussi votre tapis est tout sur mon battant ;
Je ne m’étonne plus de quoi je gagne tant.

Le Mercier.

Là, là, criez bien haut, faites bien l’étourdie,
Et puis on vous jouera dedans la comédie.

La Lingère.

Je voudrais l’avoir vu que quelqu’un s’y fût mis !
Pour en avoir raisons nous manquerions d’amis ?
On joue ainsi le monde ?

Le Mercier

On joue ainsi le monde ? Après tout ce langage,
Ne me repoussez pas mes boîtes davantage.
Votre caquet m’enlève à tous coups mes chalands ;
Vous vendez dix rabats contre moi deux galands.
Pour conserver la paix, depuis six mois j’endure
Sans vous en dire mot, sans le moindre murmure ;
Et vous me harcelez et sans cause et sans fin.
Qu’une femme hargneuse est un mauvais voisin !
Nous n’apaiserons point cette humeur qui vous pique
Que par un entre-deux mis à votre boutique ;
Alors, n’ayant plus rien ensemble à démêler,
Vous n’aurez plus aussi sur quoi me quereller.

La Lingère.

Justement.

ACTE IV
Scène XIII

La Lingère, Florice, le Mercier, le Libraire, Cléante.

La Lingère.

Justement. De tout loin je vous ai reconnue.

Florice.

Vous vous doutez donc bien pourquoi je suis venue ?
Les avez-vous reçus, ces points-coupés nouveaux ?

La Lingère.

Ils viennent d’arriver.

Florice.

Ils viennent d’arriver. Voyons donc les plus beaux.

Le Mercier,
à Cléante qui passe.

Ne vous vendrai-je rien, monsieur ? des bas de soie,
Des gants en broderie, ou quelque petite oie ?

Cléante,
au libraire.

Ces livres que mon maître avait fait mettre à part,
Les avez-vous encor ?

Le Libraire,
empaquetant ses livres.

Les avez-vous encor ? Ah ! que vous venez tard !
Encore un peu, ma foi, je m’en allais les vendre.
Trois jours sans revenir ! je m’ennuyais d’attendre.

Cléante.

Je l’avais oublié. Le prix ?

Le Libraire.

Je l’avais oublié. Le prix ? Chacun le sait ;
Autant de quarts d’écu, c’est un marché tout fait.

La Lingère,
à Florice.

Eh bien, qu’en dites-vous ?

Florice.

Eh bien, qu’en dites-vous ? J’en suis toute ravie,
Et n’ai rien encor vu de pareil en ma vie.
Vous aurez notre argent, si l’on croit mon rapport.
Que celui-ci me semble et délicat et fort !
Que cet autre me plaît ! que j’en aime l’ouvrage !
Montrez-m’en cependant quelqu’un à mon usage.

La Lingère.

Voici de quoi vous faire un assez beau collet.

Florice.

Je pense, en vérité, qu’il ne serait pas laid ;
Que me coûtera-t-il ?

La Lingère

Que me coûtera-t-il ?
Allez, faites-moi vendre,
Et pour l’amour de vous, je n’en voudrai rien prendre,
Mais avisez alors à me récompenser.

Florice.

L’offre n’est pas mauvaise, et vaut bien y penser.
Vous me verrez demain avecque ma maîtresse.

ACTE IV
Scène XIV

Florice, Aronte, le Mercier, la Lingère.

Florice.

Aronte, eh bien ! quels fruits produira notre adresse ?

Aronte.

De fort mauvais pour moi. Mon maître, au désespoir,
Fuit les yeux d’Hippolyte, et ne veut plus me voir.

Florice.

Nous sommes donc ainsi bien loin de notre conte ?

Aronte.

Oui, mais tout le malheur en tombe sur Aronte.

Florice.

Ne te débauche point, je veux faire ta paix.

Aronte.

Son courroux est trop grand pour s’apaiser jamais.

Florice.

S’il vient encor chez nous, ou chez sa Célidée,
Je te rends aussitôt l’affaire accommodée.

Aronte.

Si tu fais ce coup-là, que ton pouvoir est grand !
Viens, je te veux donner tout à l’heure un galand.

Le Mercier.

Voyez, monsieur ; j’en ai des plus beaux de la terre :
En voilà de Paris, d’Avignon, d’Angleterre.
Aronte, après avoir regardé une boîte de galands.
Tous vos rubans n’ont point d’assez vives couleurs.
Allons, Florice, allons, il en faut voir ailleurs.

La Lingère.

Ainsi, faute d’avoir de bonne marchandise,
Des hommes comme vous perdent leur chalandise.

Le Mercier.

Vous ne la perdez pas, vous, mais Dieu sait comment ;
Du moins, si je vends peu, je vends loyalement,
Et je n’attire point avec une promesse
De suivante qui m’aide à tromper sa maîtresse.

La Lingère.

Quand il faut dire tout, on s’entre-connaît bien ;
Chacun sait son métier, et… Mais je ne dis rien.

Le Mercier.

Vous ferez un grand coup si vous pouvez vous taire.

La Lingère.

Je ne réplique point à des gens en colère.

Fin du quatrième acte

 

**

LA GALERIE DU PALAIS

ACTE V

Scène première

Lysandre.

Indiscrète vengeance, imprudentes chaleurs,
Dont l’impuissance ajoute un comble à mes malheurs,
Ne me conseillez plus la mort de ce faussaire.
J’aime encor Célidée, et n’ose lui déplaire :
Priver de la clarté ce qu’elle aime le mieux,
Ce n’est pas le moyen d’agréer à ses yeux.
L’amour, en la perdant, me retient en balance ;
Il produit ma fureur et rompt sa violence,
Et me laissant trahi, confus et méprisé,
Ne veut que triompher de mon cœur divisé.
Amour, cruel auteur de ma longue misère,
Ou permets à la fin d’agir à ma colère,
Ou, sans m’embarrasser d’inutiles transports,
Auprès de ce bel oeil fais tes derniers efforts ;
Viens, accompagne-moi chez ma belle inhumaine,
Et comme de mon cœur, triomphe de sa haine !
Contre toi ma vengeance a mis les armes bas,
Contre ses cruautés rends les mêmes combats ;
Exerce ta puissance à fléchir la farouche ;
Montre-toi dans mes yeux, et parle par ma bouche :
Si tu te sens trop faible, appelle à ton secours
Le souvenir de mille et de mille heureux jours
Où ses désirs, d’accord avec mon espérance,
Ne laissaient à nos vœux aucune différence.
Je pense avoir encor ce qui la sut charmer,
Les mêmes qualités qu’elle voulut aimer.
Peut-être mes douleurs ont changé mon visage ;
Mais, en revanche aussi, je l’aime davantage.
Mon respect s’est accru pour un objet si cher ;
Je ne me venge point, de peur de la fâcher.
Un infidèle ami tient son âme captive,
Je le sais, je le vois et je souffre qu’il vive.
Je tarde trop ; allons, ou vaincre ses refus,
Ou me venger sur moi de ne lui plaire plus,
Et tirons de son cœur, malgré sa flamme éteinte,
La pitié par ma mort, ou l’amour par ma plainte :
Ses rigueurs par ce fer me perceront le sein.

ACTE V
Scène II

Dorimant, Lysandre.

Dorimant.

Eh quoi ! pour m’avoir vu, vous changez de dessein ?
Ne craignez point pour moi d’entrer chez Hippolyte ;
Vous ne m’apprendrez rien en lui faisant visite ;
Mes yeux, mes propres yeux n’ont que trop découvert
Comme un ami si rare auprès d’elle me sert.

Lysandre.

Parlez plus franchement : ma rencontre importune
Auprès d’un autre objet trouble votre fortune ;
Et vous montrez assez, par ces faibles détours,
Qu’un témoin comme moi déplaît à vos amours ;
Vous voulez seul à seul cajoler Célidée ;
La querelle entre nous sera bientôt vidée :
Ma mort vous donnera chez elle un libre accès.
Ou ma juste vengeance un funeste succès.

Dorimant.

Qu’est-ce-ci, déloyal ? quelle fourbe est la vôtre ?
Vous m’en disputez une, afin d’acquérir l’autre !
Après ce que chacun a vu de votre feu,
C’est une lâcheté d’en faire un désaveu.

Lysandre.

Je ne me connais point à combattre d’injures.

Dorimant.

Aussi veux-je punir autrement tes parjures :
Le ciel, le juste ciel, ennemi des ingrats,
Qui pour ton châtiment a destiné mon bras,
T’apprendra qu’à moi seul Hippolyte est gardée.

Lysandre.

Garde ton Hippolyte.

Dorimant.

Garde ton Hippolyte. Et toi, ta Célidée.

Lysandre.

Voilà faire le fin, de crainte d’un combat.

Dorimant.

Tu m’imputes la crainte, et ton cœur s’en abat !

Lysandre.

Laissons à part les noms ; disputons la maîtresse,
Et pour qui que ce soit, montre ici ton adresse.

Dorimant.

C’est comme je l’entends.

ACTE V
Scène III

Célidée, Lysandre, Dorimant.

Célidée.

C’est comme je l’entends. Ô dieux ! ils sont aux coups !
(À Lysandre.)
Ah ! perfide ! sur moi détourne ton courroux ;
La mort de Dorimant me serait trop funeste.

Dorimant.

Lysandre, une autre fois nous viderons le reste.

Célidée,
à Dorimant.

Arrête, cher ingrat !

Lysandre.

Arrête, cher ingrat ! Tu recules, voleur !

Dorimant.

Je fuis cette importune, et non pas ta valeur.

ACTE V
Scène IV

Lysandre, Célidée.

Lysandre.

Ne suivez pas du moins ce perfide à ma vue :
Avez-vous résolu que sa fuite me tue,
Et qu’ayant su braver son plus vaillant effort,
Par sa retraite infâme il me donne la mort ?
Pour en frapper le coup, vous n’avez qu’à le suivre.

Célidée.

Je tiens des gens sans foi si peu dignes de vivre,
Qu’on ne verra jamais que je recule un pas
De crainte de causer un si juste trépas.

Lysandre.

Eh bien, voyez-le donc ; ma lame toute prête
N’attendait que vos yeux pour immoler ma tête.
Vous lirez dans mon sang, à vos pieds répandu,
Ce que valait l’amant que vous aurez perdu ;
Et sans vous reprocher un si cruel outrage,
Ma main de vos rigueurs achèvera l’ouvrage.
Trop heureux mille fois si je plais en mourant
À celle à qui j’ai pu déplaire en l’adorant,
Et si ma prompte mort, secondant son envie,
L’assure du pouvoir qu’elle avait sur ma vie !

Célidée.

Moi, du pouvoir sur vous ! vos yeux se sont mépris ;
Et quelque illusion qui trouble vos esprits
Vous fait imaginer d’être auprès d’Hippolyte.
Allez, volage, allez où l’amour vous invite ;
Dans ses doux entretiens recherchez vos plaisirs,
Et ne m’empêchez plus de suivre mes désirs.

Lysandre.

Ce n’est pas sans raison que ma feinte passée
A jeté cette erreur dedans votre pensée.
Il est vrai, devant vous forçant mes sentiments,
J’ai présenté des vœux, j’ai fait des compliments ;
Mais c’étaient compliments qui partaient d’une souche ;
Mon cœur, que vous teniez, désavouait ma bouche.
Pleirante, qui rompit ces ennuyeux discours,
Sait bien que mon amour n’en changea point de cours ;
Contre votre froideur une modeste plainte
Fut tout notre entretien au sortir de la feinte ;
Et je le priai lors…

Célidée.

Et je le priai lors… D’user de son pouvoir ?
Ce n’était pas par là qu’il me fallait avoir.
Les mauvais traitements ne font qu’aigrir les âmes.

Lysandre.

Confus, désespéré du mépris de mes flammes,
Sans conseil, sans raison, pareil aux matelots
Qu’un naufrage abandonne à la merci des flots,
Je me suis pris à tout, ne sachant où me prendre.
Ma douleur par mes cris d’abord s’est fait entendre ;
J’ai cru que vous seriez d’un naturel plus doux,
Pourvu que votre esprit devînt un peu jaloux ;
J’ai fait agir pour moi l’autorité d’un père,
J’ai fait venir aux mains celui qu’on me préfère ;
Et puisque ces efforts n’ont réussi qu’en vain,
J’aurai de vous ma grâce, ou la mort de ma main.
Choisissez, l’une ou l’autre achèvera mes peines ;
Mon sang brûle déjà de sortir de mes veines :
Il faut, pour l’arrêter, me rendre votre amour ;
Je n’ai plus rien sans lui qui me retienne au jour.

Célidée.

Volage, fallait-il, pour un peu de rudesse,
Vous porter si soudain à changer de maîtresse ?
Que je vous croyais bien d’un jugement plus meur !
Ne pouviez-vous souffrir de ma mauvaise humeur ?
Ne pouviez-vous juger que c’était une feinte
À dessein d’éprouver quelle était votre atteinte ?
Les dieux m’en soient témoins, et ce nouveau sujet
Que vos feux inconstants ont choisi pour objet,
Si jamais j’eus pour vous de dédain véritable,
Avant que votre amour parût si peu durable !
Qu’Hippolyte vous die avec quels sentiments
Je lui fus raconter vos premiers mouvements,
Avec quelles douceurs je m’étais préparée
À redonner la joie à votre âme éplorée !
Dieux ! que je fus surprise, et mes sens éperdus,
Quand je vis vos devoirs à sa beauté rendus !
Votre légèreté fut soudain imitée :
Non pas que Dorimant m’en eût sollicitée ;
Au contraire, il me fuit, et l’ingrat ne veut pas
Que sa franchise cède au peu que j’ai d’appas ;
Mais, hélas ! plus il fuit, plus son portrait s’efface.
Je vous sens, malgré moi, reprendre votre place.
L’aveu de votre erreur désarme mon courroux ;
Ne redoutez plus rien, l’amour combat pour vous.
Si nous avons failli de feindre l’un et l’autre,
Pardonnez à ma feinte, et j’oublierai la vôtre.
Moi-même je l’avoue à ma confusion,
Mon imprudence a fait notre division.
Tu ne méritais pas de si rudes alarmes :
Accepte un repentir accompagné de larmes ;
Et souffre que le tien nous fasse tour à tour
Par ce petit divorce augmenter notre amour.

Lysandre.

Que vous me surprenez ! O ciel ! est-il possible
Que je vous trouve encore à mes désirs sensible ?
Que j’aime ces dédains qui finissent ainsi !

Célidée.

Et pour l’amour de toi, que je les aime aussi !

Lysandre.

Que ce soit toutefois sans qu’il vous prenne envie
De les plus essayer au péril de ma vie.

Célidée.

J’aime trop désormais ton repos et le mien ;
Tous mes soins n’iront plus qu’à notre commun bien.
Voudrais-je, après ma faute, une plus douce amende
Que l’effet d’un hymen qu’un père me commande ?
Je t’accusais en vain d’une infidélité :
Il agissait pour toi de pleine autorité,
Me traitait de parjure et de fille rebelle ;
Mais allons lui porter cette heureuse nouvelle ;
Ce que pour mes froideurs il témoigne d’horreur
Mérite bien qu’en hâte on le tire d’erreur.

Lysandre.

Vous craignez qu’à vos yeux cette belle Hippolyte
N’ait encor de ma bouche un hommage hypocrite ?

Célidée.

Non, je fuis Dorimant qu’ensemble j’aperçoi ;
Je ne veux plus le voir, puisque je suis à toi.

ACTE V
Scène V

Dorimant, Hippolyte.

Dorimant.

Autant que mon esprit adore vos mérites,
Autant veux-je de mal à vos longues visites.

Hippolyte.

Que vous ont-elles fait pour vous mettre en courroux ?

Dorimant.

Elles m’ôtent le bien de vous trouver chez vous.
J’y fais à tous moments une course inutile ;
J’apprends cent fois le jour que vous êtes en ville ;
En voici presque trois que je n’ai pu vous voir,
Pour rendre à vos beautés ce que je sais devoir ;
Et n’était qu’aujourd’hui cette heureuse rencontre,
Sur le point de rentrer, par hasard me les montre,
Je crois que ce jour même aurait encor passé
Sans moyen de m’en plaindre aux yeux qui m’ont blessé.

Hippolyte.

Ma libre et gaie humeur hait le ton de plainte ;
Je n’en puis écouter qu’avec de la contrainte.
Si vous prenez plaisir dedans mon entretien,
Pour le faire durer ne vous plaignez de rien.

Dorimant.

Vous me pouvez ôter tout sujet de me plaindre.

Hippolyte.

Et vous pouvez aussi vous empêcher d’en feindre.

Dorimant.

Est-ce en feindre un sujet qu’accuser vos rigueurs ?

Hippolyte.

Pour vous en plaindre à faux, vous feignez des langueurs.

Dorimant.

Verrais-je sans languir ma flamme qu’on néglige ?

Hippolyte.

Éteignez cette flamme où rien ne vous oblige.

Dorimant.

Vos charmes trop puissants me forcent à ces feux.

Hippolyte.

Oui, mais rien ne vous force à vous approcher d’eux.

Dorimant.

Ma présence vous fâche et vous est odieuse.

Hippolyte.

Non ; mais tout ce discours la peut rendre ennuyeuse.

Dorimant.

Je vois bien ce que c’est ; je lis dans votre cœur :
Il a reçu les traits d’un plus heureux vainqueur ;
Un autre, regardé d’un oeil plus favorable,
À mes submissions vous fait inexorable ;
C’est pour lui seulement que vous voulez brûler.

Hippolyte.

Il est vrai ; je ne puis vous le dissimuler :
Il faut que je vous traite avec toute franchise.
Alors que je vous pris, un autre m’avait prise,
Un autre captivait mes inclinations.
Vous devez présumer de vos perfections
Que si vous attaquiez un cœur qui fût à prendre,
Il serait malaisé qu’il s’en pût bien défendre.
Vous auriez eu le mien, s’il n’eût été donné ;
Mais puisque les destins ainsi l’ont ordonné,
Tant que ma passion aura quelque espérance,
N’attendez rien de moi que de l’indifférence.

Dorimant.

Vous ne m’apprenez point le nom de cet amant :
Sans doute que Lysandre est cet objet charmant
Dont les discours flatteurs vous ont préoccupée.

Hippolyte.

Cela ne se dit point à des hommes d’épée :
Vous exposer aux coups d’un duel hasardeux,
Ce serait le moyen de vous perdre tous deux.
Je vous veux, si je puis, conserver l’un et l’autre ;
Je chéris sa personne, et hais si peu la vôtre,
Qu’ayant perdu l’espoir de le voir mon époux,
Si ma mère y consent, Hippolyte est à vous.
Mais aussi jusque-là plaignez votre infortune.

Dorimant.

Permettez pour ce nom que je vous importune ;
Ne me refusez plus de me le déclarer :
Que je sache en quel temps j’aurai droit d’espérer,
Un mot me suffira pour me tirer de peine ;
Et lors j’étoufferai si bien toute ma haine,
Que vous me trouverez vous-même trop remis.

ACTE V
Scène VI

Pleirante, Lysandre, Célidée, Dorimant, Hippolyte.

Pleirante.

Souffrez, mon cavalier, que je vous rende amis.
Vous ne lui voulez pas quereller Célidée ?

Dorimant.

L’affaire, à cela près, peut être décidée.
Voici le seul objet de nos affections,
Et l’unique motif de nos dissensions.

Lysandre.

Dissipe, cher ami, cette jalouse atteinte ;
C’est l’objet de tes feux, et celui de ma feinte.
Mon cœur fut toujours ferme, et moi je me dédis
Des vœux que de ma bouche elle reçut jadis.
Piqué d’un faux dédain, j’avais pris fantaisie
De mettre Célidée en quelque jalousie ;
Mais, au lieu d’un esprit, j’en ai fait deux jaloux.

Pleirante.

Vous pouvez désormais achever entre vous :
Je vais dans ce logis dire un mot à madame.

ACTE V
Scène VII

Dorimant, Lysandre, Célidée, Hippolyte.

Dorimant.

Ainsi, loin de m’aider, tu traversais ma flamme !

Lysandre.

Les efforts que Pleirante à ma prière a faits
T’auraient acquis déjà le but de tes souhaits ;
Mais tu dois accuser les glaces d’Hippolyte,
Si ton bonheur n’est pas égal à ton mérite.

Hippolyte.

Qu’aurai-je cependant pour satisfaction
D’avoir servi d’objet à votre fiction ?
Dans votre différend je suis la plus blessée,
Et me trouve, à l’accord, entièrement laissée.

Célidée.

N’y songe plus, de grâce, et pour l’amour de moi,
Trouve bon qu’il ait feint de vivre sous ta loi.
Veux-tu le quereller lorsque je lui pardonne ?
Le droit de l’amitié tout autrement ordonne.
Tout prêts d’être assemblés d’un lien conjugal,
Tu ne peux le haïr sans me vouloir du mal.
J’ai feint par ton conseil ; lui, par celui d’un autre ;
Et bien qu’amour jamais ne fût égal au nôtre,
Je m’étonne comment cette confusion
Laisse finir si tôt notre division.

Hippolyte.

De sorte qu’à présent le ciel y remédie ?

Célidée.

Tu vois ; mais après tout, s’il faut que je le die,
Ton conseil est fort bon, mais un peu dangereux.

Hippolyte.

Excuse, chère amie, un esprit amoureux.
Lysandre me plaisait, et tout mon artifice
N’allait qu’à détourner son cœur de ton service.
J’ai fait ce que j’ai pu pour brouiller vos esprits ;
J’ai, pour me l’attirer, pratiqué tes mépris ;
Mais puisqu’ainsi le ciel rejoint votre hyménée…

Dorimant.

Votre rigueur vers moi doit être terminée.
Sans chercher de raisons pour vous persuader,
Votre amour hors d’espoir fait qu’il me faut céder ;
Vous savez trop à quoi la parole vous lie.

Hippolyte.

À vous dire le vrai, j’ai fait une folie :

Je les croyais encor loin de se réunir,
Et moi, par conséquent, loin de vous la tenir.

Dorimant.

Auriez-vous pour la rompre une âme assez légère ?

Hippolyte.

Puisque je l’ai promis, vous pouvez voir ma mère.

Lysandre.

Si tu juges Pleirante à cela suffisant,
Je crois qu’eux deux ensemble en parlent à présent.

Dorimant.

Après cette faveur qu’on me vient de promettre,
Je crois que mes devoirs ne se peuvent remettre :
J’espère tout de lui ; mais, pour un bien si doux
Je ne saurais…

Lysandre.

Je ne saurais… Arrête ; ils s’avancent vers nous.

ACTE V
Scène VIII

Pleirante, Chrysante, Lysandre, Dorimant, Célidée, Hippolyte, Florice.

Dorimant,
à Chrysante.

Madame, un pauvre amant, captif de cette belle,
Implore le pouvoir que vous avez sur elle ;
Tenant ses volontés, vous gouvernez mon sort.
J’attends de votre bouche ou la vie ou la mort.

Chrysante,
à Dorimant.

Un homme tel que vous, et de votre naissance,
Ne peut avoir besoin d’implorer ma puissance.

Si vous avez gagné ses inclinations,
Soyez sûr du succès de vos affections ;
Mais je ne suis pas femme à forcer son courage ;
Je sais ce que la force est en un mariage.
Il me souvient encor de tous mes déplaisirs
Lorsqu’un premier hymen contraignit mes désirs ;
Et, sage à mes dépens, je veux bien qu’Hippolyte
Prenne ou laisse, à son choix, un homme de mérite.
Ainsi présumez tout de mon consentement,
Mais ne prétendez rien de mon commandement.

Dorimant,
à Hippolyte.

Après un tel aveu serez-vous inhumaine ?

Hippolyte,
à Chrysante.

Madame, un mot de vous me mettrait hors de peine.
Ce que vous remettez à mon choix d’accorder,
Vous feriez beaucoup mieux de me le commander.

Pleirante,
à Chrysante.

Elle vous montre assez où son désir se porte.

Chrysante.

Puisqu’elle s’y résout, le reste ne m’importe.

Dorimant.

Ce favorable mot me rend le plus heureux
De tout ce que jamais on a vu d’amoureux.

Lysandre.

J’en sens croître la joie au milieu de mon âme,
Comme si de nouveau l’on acceptait ma flamme.

Hippolyte,
à Lysandre.

Ferez-vous donc enfin quelque chose pour moi ?

Lysandre.

Tout, hormis ce seul point, de lui manquer de foi.

Hippolyte.

Pardonnez donc à ceux qui, gagnés par Florice,
Lorsque je vous aimais, m’ont fait quelque service.

Lysandre.

Je vous entends assez ; soit. Aronte impuni
Pour ses mauvais conseils ne sera point banni ;
Tu le souffriras bien, puisqu’elle m’en supplie.

Célidée.

Il n’est rien que pour elle et pour toi je n’oublie.

Pleirante.

Attendant que demain ces deux couples d’amants
Soient mis au plus haut point de leurs contentements,
Allons chez moi, madame, achever la journée.

Chrysante.

Mon cœur est tout ravi de ce double hyménée.

Florice.

Mais afin que la joie en soit égale à tous,
Faites encor celui de monsieur et de vous.

Chrysante.

Outre l’âge en tous deux un peu trop refroidie,
Cela sentirait trop sa fin de comédie.

*

Fin du cinquième et dernier acte
LA GALERIE DU PALAIS

GIVING KHALIL GIBRAN – LE PROPHETE V LE DON

Giving – Le Don – Le Prophète V
The Prophet Giving KHALIL GIBRAN
Littérature Libanaise
Lebanese literature
le-prophete-khalil-gibran-fred-holland-day-1898Photographie de Fred Holland Day
1898





جبران خليل جبران
Gibran Khalil Gibran
1883–1931
le-prophete-khalil-gibran-the-prophete-n

 

THE PROPHET V
GIVING
Le Don 

1923




Traduction Jacky Lavauzelle

The Prophet
Giving Khalil Gibran
Le Prophète V
LE DON

*******

giving-khalil-gibran-artgitato-van-dyck-16-18-saint-martin-partageant-son-manteau

Saint Martin partageant son manteau
Van Dyck, 1618  Église Saint-Martin, Zaventem, Belgique

***********

Giving Khalil Gibran

Then said a rich man, « Speak to us of Giving. »
Puis un homme riche demanda : « Parle-nous du Don. »

And he answered:
Et il répondit :

You give but little when you give of your possessions.
Vous donnez, mais vous donnez  peu lorsque vous donnez de vos biens.

It is when you give of yourself that you truly give.
C’est quand vous donnez de vous-même que vous donnez vraiment !

For what are your possessions but things you keep and guard for fear you may need them tomorrow?
Que sont vos biens, sinon des choses que vous gardez, que vous conservez de peur d’en manquer demain ?

And tomorrow, what shall tomorrow bring to the over prudent dog burying bones in the trackless sand as he follows the pilgrims to the holy city?
Et demain ? Qu’apportera demain au chien prudent qui a enterré ses os dans le sable sans faire de traces, alors qu’il suit les pèlerins de la ville sainte ?

And what is fear of need but need itself?
Et qu’est-ce que la peur de la nécessité si ce n’est la nécessité elle-même ?

Is not dread of thirst when your well is full, thirst that is unquenchable?
N’est-ce  pas redouter la soif quand votre puits est plein, cette soif n’est-elle pas inextinguible ?

There are those who give little of the much which they have – and they give it for recognition and their hidden desire makes their gifts unwholesome.
Il y a ceux qui donnent peu de bien de ce qu’ils ont – et ils le donnent pour de la reconnaissance et leur désir caché de faire des dons malsain.

And there are those who have little and give it all.
Et il y a ceux qui ont peu et qui donnent tout.

These are the believers in life and the bounty of life, and their coffer is never empty.
Ce sont des croyants dans la vie et dans la bonté de la vie, et leur coffre n’est jamais vide.

There are those who give with joy, and that joy is their reward.
Il y a ceux qui donnent avec joie, et cette joie est leur récompense.

And there are those who give with pain, and that pain is their baptism.
Et il y a ceux qui donnent avec douleur, et la douleur est leur baptême.

And there are those who give and know not pain in giving, nor do they seek joy, nor give with mindfulness of virtue;
Et il y a ceux qui donnent et n’ont pas de douleur à donner, ils ne recherchent pas la joie, ni ne donnent avec la pleine conscience de la vertu ;

They give as in yonder valley the myrtle breathes its fragrance into space.
Ils donnent comme le myrte dans ce vallon qui respire sa fragrance dans l’espace.

Through the hands of such as these God speaks, and from behind their eyes He smiles upon the earth.
Par les mains de ceux-là, c’est Dieu qui parle, et à travers leurs yeux Il sourit à la terre.

It is well to give when asked, but it is better to give unasked, through understanding;
Il est bon de donner quand on le demande, mais il est préférable de donner quand on ne demande rien, grâce à la compréhension;

And to the open-handed the search for one who shall receive is joy greater than giving
Et à la main ouverte, la recherche de celui qui reçoit est une joie plus grand que le don.

And is there aught you would withhold?
Et n’y a-t-il pas des choses à garder ?

All you have shall some day be given;
Tout ce que vous avez un jour doit être donné ;

Therefore give now, that the season of giving may be yours and not your inheritors’.
donnez donc maintenant que la saison des dons puisse être vôtre et non celle de vos héritiers.

You often say, « I would give, but only to the deserving. »
Vous dites souvent: «Je donnerais, mais seulement à ceux qui le méritent. »

The trees in your orchard say not so, nor the flocks in your pasture.
Les arbres dans votre verger ne disent pas cela, pas plus les troupeaux dans votre pâturage.

They give that they may live, for to withhold is to perish.
Ils donnent pour pouvoir vivre, retenir c’est périr.

Surely he who is worthy to receive his days and his nights is worthy of all else from you.
Certes, celui qui est digne de recevoir ses jours et ses nuits est digne de toute autre chose de vous.

And he who has deserved to drink from the ocean of life deserves to fill his cup from your little Stream.
Et celui qui a mérité de boire à l’océan de la vie mérite de remplir sa tasse à votre petit ruisseau.

And what desert greater shall there be than that which lies in the courage and the confidence, nay the charity, of receiving?
Et quel plus grand mérite y-a-il que celui qui se trouve dans le courage et la confiance, et même dans la charité, de recevoir ?

And who are you that men should rend their bosom and unveil their pride, that you may see their worth naked and their pride unabashed?
Et qui êtes-vous pour que des hommes dévoilent leur poitrine et leur fierté, que vous puissiez voir leur valeur à nu et leur fierté sans bornes ?

See first that you yourself deserve to be a giver, and an instrument of giving.
Faites que vous vous méritiez d’être un donneur, et un instrument du don.

For in truth it is life that gives unto life – while you, who deem yourself a giver, are but a witness.
Car en vérité, la vie donne à la vie – alors que vous, vous qui vous jugez un donneur, n’êtes qu’un témoin.

And you receivers – and you are all receivers – assume no weight of gratitude, lest you lay a yoke upon yourself and upon him who gives.
Et vous qui recevez- et qui recevez tout – ne ressentez pas un poids dans la gratitude, car vous vous posez un joug sur vous-même et sur celui qui donne.

Rather rise together with the giver on his gifts as on wings;
Grandissez-vous en même temps que le donneur avec ses dons comme avec des ailes ;

For to be over mindful of your debt, is to doubt his generosity who has the free-hearted earth for mother, and God for father.
Pour être trop conscient de votre dette, c’est mettre en doute sa générosité qui a la terre aimante pour mère, et Dieu pour père.

*********

Giving Khalil Gibran

LE PROPHETE IV – The Prophet CHILDREN KHALIL GIBRAN – IV- Les Enfants

Children – Les Enfants – Le Prophète IV
The Prophet Children KHALIL GIBRAN
Littérature Libanaise
Lebanese literature
le-prophete-khalil-gibran-fred-holland-day-1898Photographie de Fred Holland Day
1898





جبران خليل جبران
Gibran Khalil Gibran
1883–1931
le-prophete-khalil-gibran-the-prophete-n

 

THE PROPHET IV
CHILDREN
Les Enfants 

1923




Traduction Jacky Lavauzelle

The Prophet
Children Khalil Gibran
Le Prophète IV
CHILDREN
Les Enfants

children-khalil-gibran-les-enfants-jean-baptiste-greuze-lenfant-gate-1765-saint-petersbourg-musee-de-lermitage

Jean-Baptiste Greuze (détail)
L’Enfant gâté -1765 – Saint-Pétersbourg – Musée de l’Ermitage.

*

And a woman who held a babe against her bosom said, « Speak to us of Children. »
Et une femme qui tenait un bébé contre son sein dit : «Parle-nous des enfants.« 

And he said:
Et il a dit alors :

Your children are not your children.
Vos enfants ne sont pas vos enfants.

They are the sons and daughters of Life’s longing for itself.
Ils sont les fils et filles du désir de Vie pour elle-même.

They come through you but not from you,
Ils viennent à travers vous mais non de vous,

And though they are with you, yet they belong not to you.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

You may give them your love but not your thoughts.
Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées.

For they have their own thoughts.
Car ils ont leurs propres pensées.

You may house their bodies but not their souls,
Vous pouvez héberger leurs corps mais pas leurs âmes,

For their souls dwell in the house of tomorrow, which you cannot visit, not even in your dreams.
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.

You may strive to be like them, but seek not to make them like you.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne cherchez pas à les faire comme vous.

For life goes not backward nor tarries with yesterday.
Car la vie va pas en arrière ni ne s’attarde avec hier.

You are the bows from which your children as living arrows are sent forth.
Vous êtes les arcs desquels vos enfants, comme des flèches vivantes, sont envoyés.

The archer sees the mark upon the path of the infinite, and He bends you with His might that His arrows may go swift and far.
L’archer voit la cible sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance afin que ses flèches puissent aller vite et loin.

Let your bending in the archer’s hand be for gladness;
Laissez la tension dans la main de l’archer viser la joie ;

For even as he loves the arrow that flies, so He loves also the bow that is stable.
Car, comme il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.

*****

Children Khalil Gibran

La Plaza de Maria Pita A Coruña – La Corogne

La Plaza de Maria Pita A Coruña – La Corogne
Praza de María Pita
Galice – GaliciaGaliza

LA COROGNE
A Coruña
科伦纳
コラナ
Corunna
——

Photos Jacky Lavauzelle
*




  La Plaza de Maria Pita
LA COROGNE
A Coruña
コラナ
Corunna
科伦纳

LA COROGNE – A CORUÑA

María Pita
La Corogne 1560 – 1643 Cambre

A lutté contre la Marine Anglaise
dirigée par Francis Drake (1540 -1596)
Et sauva la ville de La Corogne
en 1589

La Plaza de Maria Pita
la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-1 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-2
El Palacio Municipal
1908-1912
la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-3
Plaques commémoratives
Bataille de La Corogne
contre Francis Drake
en 1589
la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-4 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-5 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-6 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-7 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-8 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-10 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-11 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-12 la-plaza-de-maria-pita-a-coruna-la-corogne-artgitato-14
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La Plaza de Maria Pita
*****

Discurso en defensa del talento de las mugeres, y de su aptitud para el gobierno, y otros cargos en que se emplean los hombres
de Josefa Amar y Borbón

En España tenemos el exemplo de Juliana de Cibo, que sirvió como soldado en la guerra de Granada contra los Moros; de María de Estrada, que militó en las tropas de Hernán Cortés; de María Zontano, que asistió en el exército destinado para la conquista de Argel, en tiempo de Carlos V.; y de María Pita, que tanto se señaló en el sitio que pusieron los Ingleses a la Coruña, omitiendo otras muchas, por no ser posible mencionarlas todas en tan corto volumen.

Zaragoza y Junio 5 de 1786. Josepha Amar.

***********

María Pita
derrota a los ingleses sobre los muros de la Coruña

En Galicia, Compostela comparte con Roma por guardar el sepulcro del Apóstol la veneración del Orbe Católico; una gallega, María Pita, derrota a los ingleses sobre los muros de la Coruña; y de la Universidad compostelana se forma aquella legión sagrada que con el nombre de batallón literario se cubre de gloria en cien hechos de armas atestiguados por la venerada bandera, que acribillada a balazos se guarda como reliquia inestimable en el centro universitario de Santiago. Castilla, patria del Cid, tierra hidalga por excelencia, cuna de Isabel la Católica, tiene la gloria de conseguir con Aragón la unidad política de España; alienta después a aquellos Padilla, Bravo, Maldonado y el obispo Acuña, paladines de la libertad frente al soberbio poder de Carlos de Austria, y da en 1808 el fiero grito de Independencia, lanzando a su heroico pueblo, con rugidos de león sobre los cañones de Murat. Y Andalucía, la hermosa Andalucía, la que fue mora siete siglos, es al entrar en la unidad de la patria y en la unidad de la fe, la que hace posible la empresa de Colón, y la que le despide en Huelva para el Nuevo Mundo; y es también la que en Cádiz nutre toda la vida nacional en la suprema crisis de principio de este siglo, y proclama la primera constitución española, afirmando la existencia de la nación entre las angustias de un cerco, sin hacer caso de las bombas francesas, con estoicismo sublime y soberano.
El Regionalismo
de Francisco Seco de Lucena
******

LE PROPHETE III – The Prophet KHALIL GIBRAN – III – MARRIAGE- LE MARIAGE

Marriage- Le Mariage – Le Prophète III
The Prophet KHALIL GIBRAN
Littérature Libanaise
Lebanese literature
le-prophete-khalil-gibran-fred-holland-day-1898Photographie de Fred Holland Day
1898





جبران خليل جبران
Gibran Khalil Gibran
1883–1931
le-prophete-khalil-gibran-the-prophete-n

 

THE PROPHET III
MARRIAGE
LE MARIAGE 

1923




Traduction Jacky Lavauzelle

The Prophet Khalil Gibran
Le Prophète III
MARRIAGE
Le Mariage

marriage-le-mariage-le-prophete-the-prophet-khalil-gibran-silva-porto-artgitato
Tableau de Silva Porto

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Then Almitra spoke again and said, « And what of Marriage, master? »
Puis Almitra parla de nouveau et dit: «Et que dis-tu du mariage, maître ?« 

And he answered saying:
Et il répondit en disant:

You were born together, and together you shall be forevermore.
Vous êtes nés ensemble, et ensemble vous serez toujours.

You shall be together when white wings of death scatter your days.
Vous serez ensemble quand les ailes blanches de la mort disperseront vos jours.

Aye, you shall be together even in the silent memory of God.
Oui, vous serez ensemble même dans la mémoire silencieuse de Dieu.

But let there be spaces in your togetherness,
Mais qu’il y ait des espaces dans votre unité,

And let the winds of the heavens dance between you.
Et que les vents des cieux dansent entre vous.

Love one another but make not a bond of love:
Aimez-vous mais ne faites pas un lien de l’amour :

Let it rather be a moving sea between the shores of your souls.
Qu’il soit plutôt une mer mouvante entre les rivages de vos âmes.

Fill each other’s cup but drink not from one cup.
Remplissez la coupe de l’autre, mais ne buvez pas dans une seule tasse.

Give one another of your bread but eat not from the same loaf.
Donnez à l’autre de votre pain, mais ne mangez pas du même pain.

Sing and dance together and be joyous, but let each one of you be alone,
Chantez et dansez ensemble et soyez joyeux, mais laissez chacun de vous être seul,

Even as the strings of a lute are alone though they quiver with the same music.
De même que les cordes d’un luth sont seules quand elles vibrent avec la même musique.

Give your hearts, but not into each other’s keeping.
Donnez vos cœurs, mais pas dans la garde de l’autre.

For only the hand of Life can contain your hearts.
La main de la Vie, seule, peut contenir vos cœurs.

And stand together, yet not too near together:
Et ensemble tenez-vous, mais ne soyez pas trop rapprochées :

For the pillars of the temple stand apart,
Les piliers du temple ne se collent pas,

And the oak tree and the cypress grow not in each other’s shadow.
Et le chêne et le cyprès ne poussent pas dans l’ombre l’un de l’autre.

*******

The Prophet Khalil Gibran

PUERTO DE A CORUÑA – LE PORT DE LA COROGNE

Puerto de A Coruña
Galice – GaliciaGaliza

PUERTO DE A CORUÑA
LA COROGNE
A Coruña
科伦纳
コラナ
Corunna
——

Photos Jacky Lavauzelle
*




 LE PORT DE LA COROGNE
PUERTO DE A CORUÑA
コラナ
Corunna
科伦纳

PUERTO DE A CORUÑA

puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-12 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-10 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-9 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-7 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-6 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-5 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-4 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-3 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-2 puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-1 a-coruna-la-corogne-artgitato-espagne-espana

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LA COROGNE AU XVIIIe SIECLE
A Coruña en el siglo XVIII

Los paquebotes del correo marítimo han contribuido notablemente, a fomentar el comercio de las Islas, y de Buenos Aires, desde el puerto de la Coruña, en el cual se halla establecido el navío de estos buques. Al mismo tiempo dan salida a algunos géneros, y frutos de la producción de Galicia, que antes no se conocían en Indias.
Les paquebots du courrier maritime ont contribué de manière significative à la promotion du commerce dans les îles, et à Buenos Aires, depuis le port de La Corogne. Dans le même temps, ils portaient des espèces et des fruits de la production de la Galice, qui étaient jusque-là inconnus en Inde.

Discurso sobre la educación popular sobre los artesanos y su fomento
de Pedro Rodríguez de Campomanes
(Asturias, 1723 – Madrid, 3 de febrero de 1802)

XIX
Del comercio exterior, y del que de España se hace a Indias, en particular
Du commerce extérieur et de ce que l’Espagne fait dans les Indes en particulier

**********

LA FLOTTE INVINCIBLE A LA COROGNE
dans
LA PREMIERE ENCYCLOPEDIE

L’extrait de Strype se réduit à ceci, que la flotte invincible composoit 130 vaisseaux de 57868 tonneaux, 19295 soldats, 8450 matelots, 2088 esclaves, & 2630 grandes pieces d’artillerie de bronze de toute espece, sans compter 20 caravelles pour le service de l’armée navale, & 10 vaisseaux d’avis à 6 rames. Cette flotte, avant que de sortir du port de Lisbonne, coûtoit déjà au roi d’Espagne plus de 36 millions de France, évaluation de ce tems-là ; je ne dis pas évaluation de nos jours.

Le duc de Médina-Celi fit voile de l’embouchure du Tage avec cette belle flotte en 1588, & prit sa route vers le Nord. Elle essuya une premiere tempête qui écarta les vaisseaux les uns des autres, ensorte qu’ils ne purent se rejoindre ensemble qu’à la Corogne. Elle en partit le 12 Juillet, & entra dans le canal à la vûe des Anglois, qui la laisserent passer.

Le Blond, Bellin, Jaucourt
L’Encyclopédie
Première Edition
1751
Tome 6
pp. 879-880

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PUERTO DE A CORUÑA
LE PORT DE LA COROGNE

Acisclo Manzano : Homenaje a Balmis – Hommage à Balmis – A CORUÑA – 2003

Acisclo Manzano
homenaje a Balmis
Galice – GaliciaGaliza


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Acisclo Manzano
LA COROGNE
A Coruña
科伦纳
コラナ
Corunna
——

Photos Jacky Lavauzelle
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 Acisclo Manzano
homenaje a Balmis
hommage à Balmis
2003
LA COROGNE
A Coruña
コラナ
Corunna
科伦纳

LA COROGNE – A CORUÑA

Escultura de Acisclo Manzano por la que A Coruña rinde homenaje a Balmis. Inaugurada en el año 2003 en el Paseo del Parrote.
Sculpture d’Acisclo Manzano
La Corogne rend hommage à Balmis
La sculpture a été inaugurée en 2003 sur le Paseo del Parrote de La Corogne

Acisclo Manzano Freire nace en Orense en 1940
Acisclo Manzano est né à Orense (Ourense) en 1940

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Francisco Javier Balmis
vacuna de la viruela
vaccin de la variole
Alicante, 2 de diciembre de 1753 – Madrid, 12 de febrero de 1819
2 décembre 1753 – 12 février 1819

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Homenaje a Balmis
Hommage à Balmis

 a los niños huérfanos que partieron en la expedición
Balmis et les neuf orphelins qui partirent dans son expédition

acisclo-manzano-homenaje-a-balmis-hommage-a-balmis-a-coruna-2003-artgitato-1 acisclo-manzano-homenaje-a-balmis-hommage-a-balmis-a-coruna-2003-artgitato-3 acisclo-manzano-homenaje-a-balmis-hommage-a-balmis-a-coruna-2003-artgitato

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BALMIS A LA TÊTE
D’UNE EXPEDITION ESPAGNOLE

Juan Valera es tan de carne y hueso como el Sr. D. Manuel J. Quintana, el cual admito que es un monumento nacional, pero a condición de que se me conceda que es un monumento monolítico, de una sola pieza y sin juegos. Admito que un hombre sea sincero, sintiendo el furor pimpleo en vista de que una expedición española va a propagar la vacuna en América bajo la dirección de D. Francisco Balmis. Pero admítase también que puede ser sincero el poeta que quiere asuntos nuevos y formas nuevas, y busca y rebusca y encuentra algo original e inaudito en sus pensares de pensares, como dice doña Emilia Pardo de Bazán; en su espíritu y en su temperamento de artista refinado, nacido en el centro de una sociedad compleja, riquísima en experiencia, que tiene el cerebro excitadísimo por grandes gastos nerviosos y que ve más que vio nunca el mundo y siente especies de dolores, sino nuevos, renovados y complicados hasta lo infinito.

Mezclilla
 Baudelaire
de Leopoldo Alas

LA COROGNE – A CORUÑA – 科伦纳 – コラナ – Corunna

Galice – GaliciaGaliza
a-coruna-la-corogne-artgitato-espagne-espana

LA COROGNE
A Coruña
科伦纳
コラナ
Corunna
——

Photos Jacky Lavauzelle
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  LA COROGNE
A Coruña
コラナ
Corunna
科伦纳

LA COROGNE – A CORUÑA

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Ánimas
Monumento dedicado a la Virgen del Carmen

Monument dédié à la Vierge du Carmen

la-virgen-del-carmen-a-coruna-la-vierge-du-carmen-la-corogne-artgitato-3para consuelo del pueblo sufrido
pour consoler ceux qui souffrent

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Acisclo Manzano
Homenaje a Balmis
Hommage à Balmis
2003
acisclo-manzano-homenaje-a-balmis-hommage-a-balmis-a-coruna-2003-artgitato

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Puerto de La Coruña
Le Port de La Corogne

puerto-de-a-coruna-le-port-de-la-corogne-artgitato-6

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paseo-maritimo-alcalde-francisco-vazquez-a-coruna-la-corogne-artgitato
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Praza do Humor

LA COROGNE – A CORUÑA

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DEFINITION DE LA COROGNE
DANS
LA PREMIERE ENCYCLOPEDIE
DE 1751

COROGNE (la), Géogr. mod. ville maritime d’Espagne, en Galice, avec un port très-commode. Long. 9. 20. lat. 43. 20.

L’Encyclopédie, 1re éd.
1751
Tome 4
p. 259

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ARBRE
de Guillaume Apollinaire
(extrait)

Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande

Ce beau nègre en acier

La plus grande tristesse
C’est quand tu reçus une carte postale de La Corogne

Le vent vient du couchant
Le métal des caroubiers
Tout est plus triste qu’autrefois
Tous les dieux terrestres vieillissent
L’univers se plaint par ta voix
Et des êtres nouveaux surgissent
Trois par trois

Guillaume Apollinaire
Arbre
Calligrammes
Poèmes de la paix et de la guerre
1913-1916
NRF, 1918
pp. 32-34

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LES MOUSQUETAIRES
&
LA COROGNE

Tout l’équipage faisait silence.

Cinq minutes après, le commandant appela le lieutenant en second, qui remonta aussitôt, en ordonnant de mettre le cap sur la Corogne.

Pendant qu’on exécutait l’ordre donné, Aramis reparut sur le pont et vint s’asseoir contre le bastingage.

La nuit était arrivée, la lune n’était point encore venue, et cependant Aramis regardait opiniâtrement du côté de Belle-Isle. Yves s’approcha alors du commandant, qui était revenu prendre son poste à l’arrière, et, bien bas, bien humblement :

— Quelle route suivons-nous donc, capitaine ? demanda-t-il.

— Nous suivons la route qu’il plaît à Monseigneur, répondit l’officier.

Aramis passa la nuit accoudé sur le bastingage.

Yves, en s’approchant de lui, remarqua, le lendemain, que cette nuit avait dû être bien humide, car le bois sur lequel s’était appuyée la tête de l’évêque était trempé comme d’une rosée.

Qui sait ! cette rosée, c’était peut-être les premières larmes qui fussent tombées des yeux d’Aramis !

Quelle épitaphe eût valu celle-là, bon Porthos ?

Alexandre Dumas
Le Vicomte de Bragelonne
Michel Lévy frères
1876
pp. 782-784

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 LA COROGNE
dans
Les Fragments des mémoires
du colonel Vigo-Roussillon

La Guerre d’Espagne
1891

Le 21 décembre, la division partit de nuit, et fut bivouaquer, avec la garde impériale, près du village de Las-Rosas. On disait que l’empereur avait appris que les Anglais, qui, depuis la convention de Cintra, occupaient Lisbonne, avaient reçu des renforts importans ; que d’autres débarquemens avaient eu lieu à l’embouchure du Mondégo et à la Corogne ; que ces détachemens réunis avaient formé une armée anglaise de plus de 30,000 hommes, servant de réserve aux insurrections portugaise et espagnole ; qu’elle avait rallié les troupes battues et s’avançait avec elles en Espagne.

Le 27, marchant sur Benavente, nous passâmes le Duero à Tordesillas. Le 31 décembre, à Castrogonzalès, notre avant-garde atteignit l’arriôre-garde des Anglais, que nous suivions depuis plusieurs jours et qui se dirigeaient vers la Corogne, dans l’espoir de s’y rembarquer. Cinq cents chasseurs à cheval de la garde impériale, qui avaient passé l’Elza à la nage, furent surpris par 3,000 hommes de cavalerie anglaise. Ils durent revenir par le même chemin après avoir été assez maltraités. Leur colonel, M. Lefebvre-Desnouettes, fut fait prisonnier, par les Anglais, dans cette échauffourée.

Les Anglais avaient espéré surprendre, à Burgos, le 24 décembre, le corps du maréchal Soult, qu’ils savaient isolé. C’était un appât que leur avait tendu l’empereur et auquel ils avaient mordu. Mais ils avaient appris, vingt-quatre heures trop tôt, l’approche de l’empereur avec les corps du maréchal Ney et la garde. Les Anglais s’étaient arrêtés tout court, le 24, à Carrion, et ils avaient commencé le lendemain, vers la Corogne, une retraite que leurs habitudes et la nature du pays ne leur permettaient que d’effectuer très lentement.

On sait que le maréchal Soult laissa échapper les Anglais. Cependant l’empereur avait augmenté son corps de celui de Junot et avait mis à sa disposition le corps du maréchal Ney. Soult poursuivait ainsi 20,000 Anglais, déjà dans le plus grand désordre, avec 30,000 Français excellens. L’armée de sir John Moore courait les plus grands dangers, puisqu’elle arriva à la Corogne plusieurs jours avant la flotte qui devait la recueillir. Le maréchal Soult avait perdu trois jours à Lugo, quatre jours devant la Corogne, sans oser attaquer les Anglais. Ils s’échappèrent.

….

Le maréchal Soult marchait de Vigo sur Oporto. Le général Moore, tué à la Corogne, avait été remplacé dans le commandement des troupes anglaises, en Portugal, par sir Arthur Wellesley (depuis lord Wellington). Ce nouveau général avait organisé une armée anglo-portugaise, rallié les armées espagnoles, et remontait la vallée du Tage.

Anonyme
La Guerre d’Espagne
Fragments des mémoires du colonel Vigo-Roussillon
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 106
1891
pp. 127-157

LA VIRGEN DEL CARMEN A CORUÑA – LA VIERGE DU CARMEN LA COROGNE – Suso León

Monumento dedicado a la Virgen del Carmen
Galice – GaliciaGaliza

Ánimas
LA COROGNE
A Coruña
科伦纳
コラナ
Corunna
——

Photos Jacky Lavauzelle
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 Monumento dedicado a la
Virgen del Carmen
Suso León
2008
LA COROGNE
A Coruña
コラナ
Corunna
科伦纳

Monument dédié à la Vierge du Carmen
patronne des pêcheurs
2008

«LA VIRGEN DEL CARMEN»
para consuelo del pueblo sufrido
pour consoler ceux qui souffrent

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Sculpteur – Escultor
Suso León

« Un artista inclasificable y anárquico,  las creaciones de Suso León nacen de la voluntad de hacer obra formalmente libre. »
« Un artiste inclassable et anarchiques, les créations de Suso León découlent de la volonté de faire un travail formellement libre. »
(trad. J.L.)
in
http://www.susoleon.com/

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Coût – Costo
180.000 € [30 millions de pesetas]

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A l’initiative
La initiativa
Cofradía del Carmen y de la Aurora

fue bendecido por el arzobispo de Santiago, Julián Barrio
Le monument fut béni par l’archevêque de Saint-Jacques de Compostelle, Julian Barrio

la-virgen-del-carmen-a-coruna-la-vierge-du-carmen-la-corogne-artgitato-1

Todos los que conocemos el monte sabemos que la Virgen del Carmen es una trabajadora incansable.
Tous ceux qui connaissent la montagne savent que la Vierge du Carmen est un infatigable travailleur.

Muchas veces, un devoto se cura de alguna enfermedad incurable, y entonces lleno de admiración exclama: « ¡Un milagro de la Virgen del Carmen! ».
Souvent, un dévot qui guérit d’une maladie incurable, rempli d’admiration s’exclame : « Un miracle de la Vierge du Carmen ! »

Pero el devoto ignora que la Virgen del Carmen ha tenido que trabajar intensamente para poder curar el cuerpo enfermo.
Mais le dévot sait bien que la Vierge du Carmen a dû travailler dur pour soigner ce corps malade.

Otras veces un devoto se ha salvado de morir trágicamente, lleno de admiración exclamó: « ¡Un milagro! ». Pero el devoto ignora el esfuerzo supremo, el enorme sacrificio, la magnitud del trabajo que a la Virgen del Carmen le ha tocado realizar.
Parfois, un dévot a été sauvé d’une mort tragique, plein d’admiration il s’exclame : « Un miracle ! » Mais ce que le dévot ignore c’est l’effort suprême, l’énorme sacrifice, l’ampleur de l’œuvre que la Vierge du Carmen a eu à réaliser.

El Libro de la Virgen del Carmen:
 CAPÍTULO VI: MILAGROS DE LA VIRGEN DEL CARMEN
de Samael Aun Weor
Traduction Jacky Lavauzelle

la-virgen-del-carmen-a-coruna-la-vierge-du-carmen-la-corogne-artgitato-2

Vamos a relatar algunos milagros de la Virgen del Carmen:
Nous relaterons quelques miracles de la Vierge du Cramen :

1º) Alfredo Bello, se salvó de morir ahogado en una goleta, implorando a la Virgen del Carmen; navegaba Alfredo Bello en la zona del Canal de Panamá hacia la ciudad de Barranquilla, cuando la goleta estalló. Se hundió la nave entre las olas embravecidas del mar. No se veía sino cielo y agua, ni un rayo de esperanza y Alfredo Bello agarrado a un mísero tablón, imploraba a la Virgen del Carmen. Así se salvó el hombre; recibió auxilio a tiempo y lleno de admiración exclamó: « ¡Un milagro! ».
[Sauvetage d’Alfredo Bello après que son navire eu chaviré dans la zone du Canal de Panama ; il trouva une planche sur laquelle il eût la vie sauve (JL)]

El Libro de la Virgen del Carmen:
 CAPÍTULO VI: MILAGROS DE LA VIRGEN DEL CARMEN
de Samael Aun Weor

la-virgen-del-carmen-a-coruna-la-vierge-du-carmen-la-corogne-artgitato-3

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LA POPULARITE DE LA
VIERGEN DEL CARMEN
EN ESPAGNE

« L’impression dont l’aspect de cette fosse saisissait ceux qui étaient debout sur ses bords se traduisait par mille dévotes éjaculations.

Vierge del Carmen ! — Vierge del Pilar ! — San-Francisco ! — San-Diego ! — San-Antonio ! s’écriait chacun, selon sa dévotion en l’une de ces vierges ou l’un de ces saints dont la popularité se balance à Madrid. »

Les Cimetières de Madrid
Revue des Deux Mondes
1835 – tome 1
Lord Feeling (Antoine Fontaney)

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Monumento dedicado a la Virgen del Carmen