LA CHUTE – Les derniers soubresauts du mal

Olivier HIRSCHBIEGEL
LA CHUTE
Der Untergang
2004
 

La Chute Der Untergang Artitato Les derniers soubresauts du mal

Les derniers
soubresauts du Mal

« Une heureuse prédestination m’a fait naître à Braunau-am-Inn, bourgade située précisément à la frontière de ces deux États allemands dont la nouvelle fusion nous apparaît comme la tâche essentielle de notre vie, à poursuivre par tous les moyens ». 

Cette citation ouvre Mein Kampf. Qu’un des livres les plus noirs de l’humanité s’ouvre en racontant cette « heureuse prédestination » fait déjà froid dans le dos. Déjà cette première phrase marque sa détermination absolue. Tout être, même le plus ignoble, peut redevenir humain, surtout à quelques heures de sa mort. Mais lui reste encore l’ombre du führer. Nous dépassons le problème politique, que lui-même ne supporte plus : « Je ne m’occupe plus de politique, c’est répugnant la politique ! Vous aurez bien assez à faire de politique quand je serai mort »(Hitler). Nous dépassons la politique seule et rentrons dans la morale.

Au cœur de la barbarie que nous voyons s’éteindre : « Les races nobles, ce sont elles qui ont laissé le concept ‘barbare’ sur leurs traces partout où elles ont passé » (Nietzsche, Contribution à la généalogie de la morale). Le chaos total n’est pas passé loin de l’homme.

  • LE DERNIER CERCLE CONCENTRIQUE

Le film raconte deux mouvements. Un premier mouvement circulaire. Un cercle concentrique se rétrécissant autour du bunker du führer à Berlin. Un second descendant vers un abîme. Les deux sont inéluctables.

Nous les suivons aux rythmes des canons et des explosions. La pression croît sur le dernier pré-carré de SS les plus convaincus et fanatisés. Et les bombardements tassent le bunker vers un fond qu’il n’aurait jamais dû quitter. 

  • « LES LARMES DE LA GUERRE PREPARERONT LES MOISSONS DU MONDE FUTUR » (Mein Kampf)

Même dans ce marasme, Hitler voit la victoire, des grands projets pour le monde, pour l’Allemagne. Même ces bombardements, ces ruines sont une bonne chose en fait.

Ne faut-il pas tout détruire pour mieux reconstruire.

Tout pourra être reconstruit autour du centre :« Voyez-vous Speer, les bombardements qui détruisent nos villes ont tous de bons côtés. Il est beaucoup plus facile de déblayer des gravats que d’avoir à tout raser soi-même. Je suis sûr qu’après la victoire, la reconstruction du pays pourra se refaire en un rien de temps. Vous êtes un architecte de génie, Speer ! Si, si, vous et moi, sommes les seuls à savoir que le Troisième Reich ne peut pas vivre que de ces magasins, de ces usines. Il ne peut pas être fait uniquement de gratte-ciels et de grands hôtels. Non ! Le troisième Reich sera le temple des arts et de la culture qui perdureront pendant des millénaires. Voyez les villes de l’antiquité, l’Acropole. Voyez les villes du moyen âge avec leurs cathédrales et ainsi de quoi a besoin l’humanité : de centre de gravité. Oui, Speer ! Telle a toujours été ma vision et elle est intacte, cher ami ». 

De toujours, les destructions de la guerre, pour Hitler, ont permis de faire avancer son nouvel ordre du monde et d’atteindre la réalisation d’un monde façonné par lui. Un nouveau monde au-delà même des souffrances du peuple allemand incapable lui aussi de porter ces projets pharaoniques.Toute dictature a besoin d’un centre de convergence.

L’Allemagne, l’Italie, l’Albanie ont toutes étaient morcelées avant l’apparition d’un maître.« Dieu, quelle confusion, quel embrouillamini ! Avant même de voir le jour, l’Etat albanais était devenu un fouillis inextricable. On ne savait même pas si cet Etat existait pour de bon ? On n’en connaissait pas la capitale, car un jour une ville s’avisait de se proclamer telle, et le lendemain, c’était le tour d’une autre » (Milan Kundera, L’Année Noire)

  • QUAND LA FAUX DE LA SVASTIKA S’ARRÊTE DE BROYER LE MONDE

Au cœur du Monde, l’Allemagne. Au cœur de l’Allemagne : Berlin. Au cœur de Berlin : le bunker. Au cœur du bunker : Hitler. Le cœur d’Hitler : sa main. Elle bouge au rythme des bombardements.

Comme le gouvernail d’un sous-marin du Mal. Elle bouge et frappe encore. La bête n’est pas morte. Le serpent venimeux, affaibli, peut encore mordre. Du venin sort toujours de sa bouche.  

Un dernier mouvement sur la gâchette. Un dernier mouvement, pour qu’enfin tout puisse repartir. Cette main qui a su se lever plus haut que la tête, qui a su rabaisser l’esprit au rang de matière.Le symbole même du nazisme : la svastika.

Elle met en scène le mouvement perpétuel de rotation autour d’un point fixe, l’origine du Mal. Ce point, ici Berlin, va devenir le centre d’une croix morte au mouvement décélérant petit à petit, jusqu’à s’arrêter. Puis plus qu’un point. Puis plus rien. Qu’une large tache indélébile.

Ce vieil homme courbé et tremblant, celui-même qui fit courber et trembler le monde, s’achemine vers sa mort. La saoulerie, les corps qui s’entassent, les alertes sont les derniers soubresauts de cet enfer, les corps qui s’entassent, des pantins décorant des morts-vivants, des enfants jusqu’après la capitulation… 

  • « LA, L’EMPEREUR DU REGNE DE DOULEUR SORTAIT A MI-POITRINE DE LA GLACE » (Dante, l’Enfer, trad. J Richet)

Le Mal ne mangera plus d’âmes. Les pales de la faux de la Svastika se sont enfin immobilisées. Come quando una grossa nebbia spira // o quando l’emisperio nostra annotta // par di lungi un molin che’l vento gira” (L’Enfer de Dante, Chapitre XXXIV). Dante pouvait s’abriter des vents derrière “al duca mio” et voir Lucifer broyer le monde de ses dents. Nous, nous sentons encore cet air fétide, même après la mort de la bête.

La nuit vint. Puis le matin. Ce fut le premier jour…

Jacky Lavauzelle