18 avril 1842 – Ponta Delgada (Les Açores)- 11 septembre 1891 Ponta Delgada 18 de abril de 1842 – Ponta Delgada, 11 de setembro de 1891
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Traduction Jacky Lavauzelle
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LE PALAIS DE LA FORTUNE O Palácio da Ventura _______________________________________
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Sonho que sou um cavaleiro andante. Je rêve que je suis un chevalier errant. Por desertos, por sóis, por noite escura, À travers les déserts, les soleils, la nuit sombre ; Paladino do amor, busco anelante Défenseur de l’amour, je recherche intensément O palácio encantado da Ventura! Le palais enchanté de la Fortune ! * Mas já desmaio, exausto e vacilante, Mais je me suis déjà évanoui, épuisé et vacillant, Quebrada a espada já, rota a armadura… L’épée et l’armure déjà brisées… E eis que súbito o avisto, fulgurante Et voici, je le vois soudain, éblouissant Na sua pompa e aérea formosura! Dans sa splendeur et son aérienne beauté ! * Com grandes golpes bato à porta e brado: À grands coups, je frappe à la porte et je crie : Eu sou o Vagabundo, o Deserdado… Je suis le Vagabond, le Déshérité … Abri-vos, portas de ouro, ante meus ais! Ouvrez-vous, portes d’or, devant mes malheurs ! * Abrem-se as portas d’ouro com fragor… Les portes dorées enfin s’ouvrent … Mas dentro encontro só, cheio de dor, Mais à l’intérieur je trouve seulement, tant de douleur, Silêncio e escuridão – e nada mais! Tant de silence et d’obscurité – et rien de plus !
A cruz dizia á terra onde assentava, La croix a dit à la terre où elle reposait, Ao valle obscuro, ao monte aspero e mudo: À la vallée obscure, au mont rude et muet : —Que és tu, abysmo e jaula, aonde tudo « Qu’êtes-vous, abîmes et prisons, où tout Vive na dor e em lucta cega e brava? vit dans la douleur et dans la lutte aveugle et furieuse ? »
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Sempre em trabalho, condemnada escrava. Toujours au travail, esclave condamné. Que fazes tu de grande e bom, comtudo? Que fais-tu de grand et de bien, après tout ? Resignada, és só lodo informe e rudo; Résigné, tu n’es que de la boue et du bruit informe ; Revoltosa, és só fogo e horrida lava… Dégoûtant, tu n’es seulement qu’une hideuse lave …
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Mas a mim não ha alta e livre serra Mais il n’y a pas de haute montagne libre Que me possa igualar!.. amor, firmeza, Qui puisse m’égaler ! .. amour, fermeté, Sou eu só: sou a paz, tu és a guerra! Je suis seul : je suis la paix, tu es la guerre !
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Sou o espirito, a luz!.. tu és tristeza, Je suis l’esprit, la lumière ! .. tu es la tristesse, Oh lodo escuro e vil!—Porêm a terra Ô vile boue noire ! – A cela la terre Respondeu: Cruz, eu sou a Natureza! Répondit : « Croix, je suis la Nature !«
Este inferno de amar – como eu amo! – Cet enfer d’aimer – comme je l’aime ! – Quem mo pôs aqui n’alma… quem foi? Qui m’a mis ça dans l’âme … qui ? Esta chama que alenta e consome, Cette flamme qui encourage et consume, Que é a vida – e que a vida destrói – Qui est la vie – et que cette vie détruit – Como é que se veio a atear, Comment tout cela a commencé, Quando – ai quando se há-de ela apagar? Et quand, quand cela finira-t-il ? * Eu não sei, não me lembra: o passado, Je ne sais ! je ne m’en souviens pas ! le passé, A outra vida que dantes vivi L’autre vie que j’ai vécue avant, Era um sonho talvez… – foi um sonho – Tout cela n’était peut-être qu’un rêve ? … – c’était un rêve !- Em que paz tão serena a dormi! Dans quelle sereine paix j’ai dormi ! Oh! que doce era aquele sonhar… Oh ! comme ce rêve était doux… Quem me veio, ai de mim! despertar? Qui est venu, hélas ! me réveiller ? *
Só me lembra que um dia formoso Ça me rappelle juste une belle journée… Eu passei… dava o sol tanta luz! Je passais … le soleil intensément brillait ! E os meus olhos, que vagos giravam, Et mes yeux nonchalants, Em seus olhos ardentes os pus. Sont venus se poser sur ses yeux ardents. Que fez ela? eu que fiz? – Não no sei; Qu’a-t-elle fait ? qu’ai-je fait ? – Je ne sais… Mas nessa hora a viver comecei… Mais à cette heure, j’ai commencé à vivre …
********** Quando eu sonhava, era assim Quand je rêvais, c’était ainsi Que nos meus sonhos a via; Que dans mes rêves je la vis ; E era assim que me fugia, Et c’est ainsi que je m’enfuyais, Apenas eu despertava, Seulement, en m’éveillant, Essa imagem fugidia Cette image insaisissable Que nunca pude alcançar. Je ne pouvais plus la saisir. Agora, que estou desperto, Maintenant que je suis réveillé, Agora a vejo fixar… Maintenant je la vois se fixer… Para quê? – Quando era vaga, Pourquoi ? – Quand c’était vague, Uma ideia, um pensamento, Une idée, une pensée, Um raio de estrela incerto Un rayon d’étoile incertain No imenso firmamento, Dans l’immense firmament, Uma quimera, um vão sonho, Une chimère, un vain rêve, Eu sonhava – mas vivia: Je rêvais – mais je vivais : Prazer não sabia o que era, Le plaisir ne savait pas ce que c’était, Mas dor, não na conhecia … Mais la douleur, je ne la connaissais pas…
Traduction – Texte Bilingue Poesia e traduzione LITTERATURE ITALIENNE
Letteratura Italiana –
ALESSANDRO MANZONI 7 mars 1785 à Milan — 22 mai 1873 à Milan
Alessandro Manzoni par Francesco Hayez
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Traduction Jacky Lavauzelle
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Il Cinque Maggio Le cinq mai
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Ei fu. Siccome immobile, Il fut. Comme immobile, dato il mortal sospiro, dans son dernier soupir, stette la spoglia immemore un corps sans mémoire orba di tanto spiro, sans la force de tant d’esprit, così percossa, attonita laissant abattue, stupéfaite a terra al nunzio sta, la terre à cette annonce, l muta pensando all’ultima pensant à la dernière ora dell’uom fatale; heure fatale de cet homme ; né sa quando una simile ne sachant si une telle orma di pie’ mortale empreinte de mortel la sua cruenta polvere sa poussière sanglante a calpestar verrà. viendra fouler. Lui folgorante in solio Quand il éblouissait sur son trône vide il mio genio e tacque; mon esprit le vit et resta silencieux ; quando, con vece assidua, quand, par un sort assidu, cadde, risorse e giacque, il tomba, à l’agitation et à l’émoi, di mille voci al sònito aux mille voix venimeuses mista la sua non ha: jamais je ne mêlai la mienne : vergin di servo encomio ni à l’éloge servile e di codardo oltraggio, ni à la lâche indignation, sorge or commosso al sùbito après ce long essor subitement sparir di tanto raggio; tant de lumières se sont éteintes ; e scioglie all’urna un cantico et un cantique se diffusa de l’urne che forse non morrà. qui peut-être jamais ne mourra. Dall’Alpi alle Piramidi, Des Alpes aux Pyramides, dal Manzanarre al Reno, du Manzanares au Rhin, di quel securo il fulmine avec quel assurance la foudre tenea dietro al baleno; suivait la lumière de l’éclair ; scoppiò da Scilla al Tanai, Eclatant de Scylla à Tanaïs [Le Don], dall’uno all’altro mar. de l’une à l’autre mer. Fu vera gloria? Ai posteri Était-ce la véritable gloire ? À la postérité l’ardua sentenza: nui la difficile sentence : nous chiniam la fronte al Massimo inclinons le front devant le Grand Fattor, che volle in lui Maître, qui voulait del creator suo spirito par l’ingéniosité de son esprit più vasta orma stampar. marquer d’une empreinte plus vaste. La procellosa e trepida La tempêtueuse et fervente gioia d’un gran disegno, joie d’un grand dessein, l’ansia d’un cor che indocile l’anxiété d’un cœur indocile serve, pensando al regno; qui sert, en pensant au royaume ; e il giunge, e tiene un premio et il y parvient, et trouva la récompense ch’era follia sperar; qu’il était insensé d’espérer ; tutto ei provò: la gloria éprouvant tout : la gloire maggior dopo il periglio, si majestueuse après le péril, la fuga e la vittoria, la fuite et la victoire, la reggia e il tristo esiglio; le règne et le triste exil ; due volte nella polvere, deux fois dans la poussière, due volte sull’altar. deux fois sur l’autel. Ei si nomò: due secoli, Il s’est nommé : deux siècles, l’un contro l’altro armato, l’un contre l’autre armé, sommessi a lui si volsero, soumis à lui, se tournèrent, come aspettando il fato; comme s’il attendait le destin ; ei fe’ silenzio, ed arbitro et lui, silencieux, arbitre s’assise in mezzo a lor. assit au milieu d’eux. E sparve, e i dì nell’ozio Et il disparu, et ces jours oisifs chiuse in sì breve sponda, s’enferma en ces étroits rivages, segno d’immensa invidia réceptacle d’une immense envie e di pietà profonda, d’une profonde pitié, d’inestinguibil odio d’une haine inextinguible e d’indomato amor. et d’un indomptable amour. Come sul capo al naufrago Comme sur la tête du naufragé l’onda s’avvolve e pesa, la vague s’enroule et le coule, l’onda su cui del misero, la vague sur laquelle le malheureux, alta pur dianzi e tesa, s’élevant au-dessus d’elle, scorrea la vista a scernere lui, discernait de sa longue vue prode remote invan; vainement les braves loin de lui ; tal su quell’alma il cumulo ainsi sur cet âme, une multitude delle memorie scese. de souvenirs descendit. Oh quante volte ai posteri Ah combien de fois à la postérité narrar se stesso imprese, il narra lui-même son entreprise, e sull’eterne pagine et sur les pages éternelles cadde la stanca man! l’homme fatigué s’écroula ! Oh quante volte, al tacito Ah combien de fois, en silence morir d’un giorno inerte, dans la fin inerte du jour, chinati i rai fulminei, s’inclinaient ses puissants rayons, le braccia al sen conserte, les bras croisés, stette, e dei dì che furono il se posait, et les jours passés l’assalse il sovvenir! revenaient dans sa mémoire ! E ripensò le mobili Et il pensait à toutes ces multiples tende, e i percossi valli, campements, aux vallées traversées, e il lampo de’ manipoli, aux éclatantes armures, e l’onda dei cavalli, aux flots de cavaliers, e il concitato imperio à l’empire bouillonnant e il celere ubbidir. et au commandement éclatant. Ahi! forse a tanto strazio Hélas ! peut-être sur une telle agonie cadde lo spirto anelo, sur son esprit nostalgique s’est abattue, e disperò; ma valida qui le désespéra ; mais puissante venne una man dal cielo, vint une main du ciel, e in più spirabil aere et vers des airs moins viciés pietosa il trasportò; il se trouva transporté ; e l’avviò, pei floridi et suivit les florissants sentier della speranza, sentiers de l’espérance, ai campi eterni, al premio vers les champs éternels, vers cette récompense che i desideri avanza, qui devance les désirs, dov’è silenzio e tenebre où règne le silence et l’obscurité la gloria che passò. de la gloire qui passa. Bella Immortal! benefica Belle immortelle ! charitable Fede ai trionfi avvezza! Foi aux triomphes habitués ! Scrivi ancor questo, allegrati; Ecris encore ceci, sois heureux ; ché più superba altezza quelle hauteur plus superbe al disonor del Gòlgota vers le déshonneur du Golgotha giammai non si chinò. jamais ne se pencha. Tu dalle stanche ceneri Des cendres fatiguées sperdi ogni ria parola: écarte cette parole : il Dio che atterra e suscita, le Dieu qui terrasse et ressuscite, che affanna e che consola, qui précipite et qui console, sulla deserta coltrice sur ce lieu désert accanto a lui posò. à côté de lui posa.
Não te amo, quero-te: o amar vem d’alma. Je ne t’aime pas, je te veux ! l’amour vient de l’âme. E eu n’alma – tenho a calma, Et moi dans l’âme – quel calme, A calma – do jazigo. Le calme – du caveau. Ai!, não te amo, não. Ah, non ! je ne t’aime pas ! * Não te amo, quero-te: o amor é vida. Je ne t’aime pas, je te veux ! l’amour, c’est la vie. E a vida – nem sentida Et la vie – je ne la sens pas, A trago eu já comigo. Je l’ai déjà en moi. Ai!, não te amo, não. Ah, non ! je ne t’aime pas ! * Ai!, não te amo, não; e só te quero Ah, non ! je ne t’aime pas ! je te veux seulement De um querer bruto e fero D’un désir brutal et féroce Que o sangue me devora, Qui me dévore le sang, Não chega ao coração. Sans atteindre le cœur. * Não te amo. És bela, e eu não te amo, ó bela. Je ne t’aime pas ! Tu es belle, et je ne t’aime pas, ô belle ! Quem ama a aziaga estrela Qui aime l’étoile de mauvaise augure Que lhe luz na má hora Qui éclaire la mauvaise heure Da sua perdição? De son destin ? * E quero-te, e não te amo, que é forçado, Et je te veux, et je ne t’aime pas ! comme elle est scellée, De mau feitiço azado D’un âpre sort Este indigno furor. Cette fureur indigne. Mas oh!, não te amo, não. Mais non ! non, je ne t’aime pas ! * E infame sou, porque te quero; e tanto Et je suis infâme, car je te veux ! et tant Que de mim tenho espanto, Que je m’effraie moi-même, De ti medo e terror … Que de toi, j’ai peur et suis terrifié … Mas amar… não te amo, não. Mais aimer ?… non ! non, je ne t’aime pas !
João Baptista da Silva Leitão vicomte de Almeida Garrett
Porto, 4 février 1799 – Lisbonne, 9 décembre 1854 Porto, 4 de fevereiro de 1799 – Lisboa, 9 de dezembro de 1854
Almeida Garrett par Pedro Augusto Guglielmi
Portrait de Garrett, daté de 1843, avec les insignes de Commandeur de l’Ordre de Notre-Dame de la Conception de Vila Viçosa
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Traduction Jacky Lavauzelle
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LA BELLE BARQUE BARCA BELA _______________________________________
Recueil « Les Feuilles mortes » ‘Folhas Caídas’ Livro segundo Recueil publié à Lisbonne en 1853
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Pescador da barca bela, Pêcheur de la belle barque, Onde vás pescar com ela, Où pars-tu pêcher avec elle, Que é tão bela, Qui est si belle, Ó pescador? Ô pêcheur ?
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Não vês que a última estrela Ne vois-tu pas que la dernière étoile No céu nublado se vela? Dans le ciel nuage disparaît ? Colhe a vela, Replie donc ta voile, Ó pescador! Ô pêcheur !
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Deita o lanço com cautela, Lance ta ligne avec soin, Que a sereia canta bela … Comme la sirène chante divinement. Mas cautela, Mais attention ! Ó pescador! Ô pêcheur !
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Não se enrede a rede nela, Ne perd pas ton filet avec elle, Que perdido é remo e vela Tu y perdrais et tes rames et ta voile Só de vê-la, Rien qu’à la voir, Ó pescador. Ô pêcheur !
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Pescador da barca bela, Pêcheur à la belle barque, Inda é tempo, foge dela, Il est encore temps ! Fuis-là ! Foge dela, Fuis-là ! Ó pescador! Ô pêcheur !
São belas – bem o sei, essas estrelas, Qu’elles sont belles ! je sais bien, ces étoiles, Mil cores – divinais têm essas flores; Aux mille couleurs et les divines couleurs de ces fleurs ;
Não te amo, quero-te: o amar vem d’alma. Je ne t’aime pas, je te veux ! l’amour vient de l’âme. E eu n’alma – tenho a calma, Et moi dans l’âme – quel calme,
Il fascino e l’angoscia del tempo foriero di burrasca, in cui la natura par che opprima ogni vivente. Fascinante et angoissante s’annonce la tempête, dans laquelle la nature semble opprimer tout être vivant.
Ei fu. Siccome immobile, Il fut. Comme immobile, dato il mortal sospiro, dans son dernier soupir,
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LE REQUIEM DE VERDI Composé en 1874 en mémoire d’Alessandro Manzoni, mort en 1873
MANZONI SA VIE ET SES ŒUVRES
par Marc-Monnier Paru dans la Revue des Deux Mondes Seconde période tome 106 1873
Manzoni vient de mourir après quatre-vingt-huit années de vie et un demi-siècle de gloire, et l’Italie entière a voulu honorer cette mort triomphale par un déploiement exceptionnel de vénération. Les princes du sang ont suivi le convoi du poète, les grands corps de l’état figuraient officiellement aux obsèques avec des députations des cent villes italiennes ; les universités, les simples écoles, les associations ouvrières, étaient du cortège avec leurs drapeaux. Le dôme de Milan suffisait à peine pour contenir la foule des conviés, la ville entière était sur pied, les fenêtres pavoisées de bannières en deuil, les boutiques fermées ; les assistants se comptaient par cent mille, et, le front découvert, la tête baissée, saluaient avec un silence religieux cette apothéose de l’illustre mort. Ce ne fut pas seulement la fête d’un jour : l’ovation continue avec une constance remarquable ; on a donné le nom de Manzoni à une rue, à un théâtre de Milan ; on a ouvert une souscription pour ériger un monument «au grand Lombard» ; la commune a voulu acheter l’appartement qu’il habitait pour en faire une sorte de musée littéraire ; Florence a réclamé, mais inutilement, le glorieux cercueil pour le placer dans le panthéon de Santa-Croce auprès des monuments de Dante, de Galilée et de Machiavel. Les villes qu’il a traversées, les maisons où il a vécu, l’école même où il apprit à lire, ont déjà immortalisé son passage par une plaque de marbre ornée d’une inscription. Les journaux retentissent de ce nom, plus sonore que jamais, les brochures naissent par centaines, les poèmes, les sonnets surtout par milliers au bord de la fosse auguste ; tel poète qui avait cru pouvoir s’abstenir de chanter au milieu de ce tumulte enthousiaste a soulevé contre lui des imprécations, et on lui a mis de force la lyre à la main. Mais ne raillons pas, même dans ses tons un peu criards, l’acclamation unanime et spontanée de l’Italie entière : il est beau de voir cette nation débridée et non stimulée par l’éperon officiel rendre pour la première fois à un poète des honneurs qu’elle n’a jamais rendus encore à un roi. Quelle différence pourtant entre l’emphase de ces démonstrations et la simplicité de l’homme de bien qui vient de disparaître ! Ceux qui l’ont vu l’autre jour encore dans la chambre où il avait fermé les yeux nous le montrent couché sur un lit de fer peint en rouge, le front très beau, le visage calme, le menton retenu par un mouchoir. Le corps reposait sur une couverture blanche avec une grande croix d’ivoire et d’ébène sur la poitrine, et sans autre ornement funèbre que deux candélabres allumés et posés sur une table de nuit. La chambre était vaste, mais modestement tapissée d’un papier jaunâtre à fleurs ; un bouquet de roses peintes s’épanouissait au centre du plafond. Quelques petits tableaux de dévotion, un crucifix pendu au mur près du lit, le portrait sans cadre du meilleur ami de Manzoni, le professeur Rossari, mort il y a deux ans, puis quelques sièges çà et là, un canapé en laine blanche et bleue, une petite table ronde en bois de noyer, avec un marbre jaune, enfin le vieux fauteuil préféré garni de cuir, voilà tout l’ameublement, toute la décoration de cette chambre patriarcale ; mais l’âme du maître était là. Était-elle aussi bien dans les funérailles fastueuses que les journaux nous ont décrites ? On peut en douter ; il est certain que Manzoni, si modeste et si aisément effarouché, eût été étourdi par tant de fanfares. Il l’eût été davantage encore par les hyperboles de ces récents admirateurs, qui le proclament tout à la fois le premier lyrique, le premier tragique et le premier romancier du siècle. Un Allemand que nous pourrions citer ne va pas jusqu’à le comparera Goethe, mais le place très certainement (ganz gewiss) au-dessus de Boccace, de Pétrarque et de l’Arioste ; cet Allemand est cependant un homme instruit et suffisamment informé. C’est ainsi qu’un fanatisme maladroit s’évertue à vouloir exhausser la réputation du poète au risque de la déraciner ; heureusement elle tient bon et peut résister aux plus robustes extases. Nous ne craignons donc pas de la diminuer en combattant ceux qui l’enflent outre mesure, et en tâchant de nous renfermer dans le juste et dans le vrai. Nous dirons franchement ce qui reste, à notre avis, d’une œuvre littéraire déjà ancienne, mais si fraîche encore dans ses parties les plus belles. Il ne sera pas sans intérêt de revoir à distance la muse qui a chastement ému plusieurs générations de lecteurs. L’homme aussi veut être étudié : il nous offre le spectacle intéressant d’une rare longévité sans défaillance. Sa vie de repos a été aussi longue que sa vie de travail, mais l’une n’a pas fait oublier l’autre ; il a pu se taire quarante ans sans se survivre, et il est mort intact, en pleine gloire, objet d’une dévotion qui allait croissant de jour en jour. Il y a là un fait à expliquer, peut-être une leçon à prendre ; aussi ne perdrons-nous pas notre temps en abordant encore, avec la respectueuse sincérité qu’il mérite, cet homme de génie qui fut un homme de bien…
João Baptista da Silva Leitão vicomte de Almeida Garrett
Porto, 4 février 1799 – Lisbonne, 9 décembre 1854 Porto, 4 de fevereiro de 1799 – Lisboa, 9 de dezembro de 1854
Almeida Garrett par Pedro Augusto Guglielmi
Portrait de Garrett, daté de 1843, avec les insignes de Commandeur de l’Ordre de Notre-Dame de la Conception de Vila Viçosa
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Traduction Jacky Lavauzelle
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Os Cinco Sentidos LES CINQ SENS _______________________________________
Recueil « Les Feuilles mortes » ‘Folhas Caídas’ Livro primeiro Recueil publié à Lisbonne en 1853 ____________________________________________________
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São belas – bem o sei, essas estrelas, Qu’elles sont belles ! je sais bien, ces étoiles, Mil cores – divinais têm essas flores; Aux mille couleurs et les divines couleurs de ces fleurs ; Mas eu não tenho, amor, olhos para elas: Mais je n’ai pas d’amour pour elles : Em toda a natureza Dans toute cette nature Não vejo outra beleza Je ne vois pas d’autre beauté Senão a ti – a ti! Que la tienne – la tienne ! * Divina – ai! sim, será a voz que afina Divine – Oh, oui ! sera la voix tendrement Saudosa – na ramagem densa, umbrosa. Nostalgique- dans les branchages denses et ombragés. será; mas eu do rouxinol que trina Oui, elle sera ; mais moi du chant du rossignol Não oiço a melodia, Je n’entends pas la mélodie, Nem sinto outra harmonia Je ne ressens même pas d’autre harmonie Senão a ti – a ti! Que la tienne – la tienne !
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Respira – n’aura que entre as flores gira, Respire – dans cet air qui flotte parmi les fleurs, Celeste – incenso de perfume agreste, Céleste – encens d’un sauvage parfum, Sei… não sinto: minha alma não aspira, Je sais … je ne le sens pas : mon âme n’aspire, Não percebe, não toma Ne perçoit, ne saisit Senão o doce aroma Que le doux arôme Que vem de ti – de ti! Qui vient de toi – de toi ! * Formosos – são os pomos saborosos, Magnifiques – sont les pommes savoureuses, É um mimo – de néctar o racimo: Véritable régal ! du divin nectar : E eu tenho fome e sede… sequiosos, Et j’ai faim et soif … avides, Famintos meus desejos Affamés, mes désirs Estão… mas é de beijos, Le sont … mais n’attendent des baisers, É só de ti – de ti! Que de toi – de toi !
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Macia – deve a relva luzidia Que douce soit l’herbe étincelante Do leito – ser por certo em que me deito. Du lit – pour être sûr que je m’allonge. Mas quem, ao pé de ti, quem poderia Mais qui, à côté de toi, qui pourrait Sentir outras carícias, Recevoir d’autres caresses, Tocar noutras delícias Eprouver d’autres délices Senão em ti! – em ti! Sinon toi! – toi ! * A ti! ai, a ti só os meus sentidos A toi ! là, à toi seulement mes sens Todos num confundidos, Tous réunis en un seul, Sentem, ouvem, respiram; Le toucher, l’ouïe, l’odorat ; Em ti, por ti deliram. En toi, pour toi délirant. Em ti a minha sorte, En toi ma chance, A minha vida em ti; Ma vie en toi ; E quando venha a morte, Et quand viendra la mort, Será morrer por ti. Que je meurs pour toi.